Les articles de presse qui évoquent les "cadeaux" de Suez aux parlementaires

http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2006-09-08-Suez-va-t-il-avaler-Gaz-de-France#nb2 http://www.liberation.fr/actualite/politiques/193965.FR.php http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp ?id=5507

http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2006-09-08-Suez-va-t-il-avaler-Gaz-de-France septembre 2006

Suez va-t-il avaler Gaz de France ? Dans Le Monde diplomatique :

Par Olivier Vilain

Journaliste.

Le 7 septembre, le gouvernement de M. Dominique de Villepin a soumis à l’Assemblée nationale un projet de loi pour la privatisation de Gaz de France (GDF) afin de permettre sa fusion avec Suez. Pourtant M. Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, avait assuré en 2004 : « Je le redis avec force : conformément aux engagements du président de la République et du gouvernement, EDF et GDF ne seront pas privatisées (1). » Le projet de loi supprime l’obligation pour l’Etat de détenir au minimum 70 % du capital de GDF. Celui-ci pourra ramener sa participation au sein du nouveau groupe à 34 %. A quelques mois de l’élection présidentielle, ce transfert au privé du contrôle de l’un des derniers grands groupes industriels publics inquiète jusqu’au parti majoritaire, l’Union pour un mouvement populaire (UMP).

En dépit du résultat du référendum du 29 mai 2005, indice d’une opposition populaire aux orientations libérales des gouvernements européens, l’un des premiers actes du premier ministre nommé au lendemain de ce scrutin, M. de Villepin, a été de confirmer l’entrée en Bourse de GDF, puis d’EDF. Le 25 février 2006, sur fond de manifestations contre le Contrat première embauche (CPE), M. de Villepin a dévoilé le projet de fusion de GDF avec Suez. Depuis, le groupe privé n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre les parlementaires. Au point d’inviter certains de ces représentants du peuple à assister, en juillet dernier, dans les loges privées de Suez, à la finale de la Coupe du monde de football…

Selon ses promoteurs, la fusion permettrait de protéger Suez d’une offre publique d’achat (OPA) de l’italien ENEL. Mais, au final, c’est l’ensemble Suez/GDF qui vivrait alors sous la menace d’une OPA. Leurs actionnaires resteront en effet libres de vendre leur participation au plus offrant. Même la minorité de blocage dont disposera l’Etat ne mettra pas le nouveau groupe à l’abri : « Gaz de France souhaite que l’on cesse de faire sa stratégie à sa place », a averti M. Jean-François Cirelli, qui préside un groupe encore contrôlé à 80 % par l’Etat. Il ne tançait pas ses actionnaires privés, mais des députés récalcitrants.

La dilution de la part de l’Etat est déjà programmée : « Il faut commencer par rapprocher Suez et Gaz de France pour constituer le premier groupe européen, qui pourra grandir encore par la suite », a convenu M. Gérard Mestrallet, le PDG de Suez. Avec la fusion, une scission des branches énergie et environnement de Suez deviendrait très probable. Certains proposent, en sens inverse, de structurer le capital du groupe autour d’un pôle d’actionnaires publics comprenant la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

La sécurité d’approvisionnement en gaz de la France constitue l’un des autres arguments avancés en faveur du mariage GDF/Suez. Pourtant, remarquent les députés UMP Dominique Paillé et Marc-Philippe Daubresse, « loin de créer un géant du gaz, la fusion n’entraînerait qu’un grossissement de 25 % de GDF dans la distribution et guère plus dans le stockage et le transport (2) ». Pour sa fourniture en gaz, GDF a conclu depuis sa création des contrats de long terme (15 à 25 ans) avec un petit nombre de producteurs, souvent monopoles d’Etats. Dans ce cadre, les relations diplomatiques importent plus que le poids commercial d’une entité franco-belge.

Dernier argument des partisans de la fusion : les synergies résultant de la combinaison des deux groupes. Une part d’entre elles pourtant dépend de la Commission de Bruxelles. Or, selon nos informations, celle-ci semble préoccupée par l’accès des concurrents de GDF aux infrastructures de transport et de stockage du gaz. Elle pourrait contraindre le groupe à céder une partie du capital de cette filiale. M. Daniel Paul, député communiste et membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, déplore d’ailleurs « le transfert de la propriété des infrastructures de l’Etat vers l’entreprise GDF accordé par le gouvernement de Lionel Jospin ». Il s’oppose aussi à « la spoliation des collectivités locales, qui seront dépossédées des réseaux de distribution [qui relient les particuliers au réseau de transport] qu’elles ont amplement subventionnés ».

Egalement conscients des difficultés de marier deux entreprises aux cultures très différentes, plusieurs syndicats s’opposent au rapprochement envisagé, notamment la CGT, majoritaire chez GDF et qui dirige le Comité de groupe Suez (représentant 60 000 salariés en France). La CFDT, favorable à un échange de participations entre les deux groupes, rejette la privatisation de GDF. Consultés par la CGT et FO, 94 % des salariés du groupe public ont d’ailleurs fait part de leur opposition au projet.

« Si, partout, gaziers et électriciens se marient, pourquoi avoir fait divorcer Gaz de France d’EDF, il y a deux ans, pour le marier maintenant avec Suez ? », s’interroge le député UMP Pierre Lellouche. Car la plongée de GDF et du secteur de l’énergie dans le bain de la concurrence fera une autre victime : privé des ressources en gaz de GDF, une entreprise avec laquelle EDF partage 50 000 salariés, le groupe public d’électricité n’aura d’autre possibilité que de se rapprocher d’un ensemble de sociétés privées. Quant aux conséquences pour les consommateurs, on peut déjà les prévoir : « La mise en concurrence des services publics n’a jamais fait baisser les prix, ni en France ni ailleurs. Pas plus dans les télécoms que dans l’énergie », souligne M. Christian Bataille, vice-président socialiste de la commission des affaires économiques. A partir du 1er juillet 2007, les particuliers verront d’ailleurs monter leur facture, qu’ils changent ou non de fournisseur de gaz et d’électricité.

Une grande partie de la gauche, politique, syndicale et associative, la Fondation Copernic ainsi que certains courants de l’UMP suggèrent la fusion entre EDF et GDF. Ce pôle public de l’énergie pourrait ensuite tisser des partenariats avec d’autres groupes (Areva, Total, Suez…) portant notamment sur les énergies renouvelables ou la mutualisation des achats de gaz au niveau européen. Sa mission serait de garantir le développement économique du pays tout en préservant un certain nombre d’exigences, dont la justice sociale, qui n’ont jamais exagérément préoccupé les actionnaires privés.

(1) Déclaration devant l’Assemblée nationale, 16 juin 2004.

(2) Les Echos, 4 août 2006.

mercredi 30 août 2006, mis à jour à 08:31 GDF-Suez

De l’eau dans le gaz Georges Dupuy

Malgré l’opposition de la gauche et des syndicats, le mariage des deux géants français de l’énergie semblait acquis. Puis la fronde a gagné la majorité. Et, maintenant, c’est au tour de la Commission européenne d’émettre des réserves. Le débat parlementaire s’annonce très chaud. Chronique d’une fusion à réactions

n gouvernement sur le pont pendant tout l’été et une lettre de griefs de 200 pages envoyée le 19 août par la Commission européenne à Jean-François Cirelli, patron de Gaz de France, et à Gérard Mestrallet, patron de Suez. Une opposition déchaînée, qui pourrait déposer 96 000 amendements, et des représentants de la majorité bourrés d’états d’âme, même si Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, après des mois de silence, a fini par donner son accord. Des lobbyistes à la manœuvre jour et nuit et des actionnaires virulents. Des syndicats qui remontent leurs manches et l’ombre portée d’un grand méchant loup italien à l’affût… Le projet de loi relatif au secteur de l’énergie qui sera présenté au Parlement au début de septembre s’annonce déjà comme le show de la rentrée. Avec deux débats phares : le mariage entre GDF et Suez et l’ouverture totale à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz au 1er juillet 2007. Les sévères griefs de Bruxelles

La lettre de griefs que Bruxelles a envoyée le 19 août dernier à Jean-François Cirelli, le patron de GDF, et à Gérard Mestrallet, celui de Suez, serait beaucoup plus dure que les Français ne veulent bien le dire. La Commission européenne réclame ainsi de très grosses contreparties en échange de son accord à la fusion GDF-Suez. Elle estime que les contrats gaziers à long terme conclus par GDF sont trop nombreux et empêchent le libre jeu de la concurrence. Elle met en cause par ailleurs le blocage du marché par les terminaux méthaniers, les réseaux de transport et les stockages détenus par GDF et Suez, les trois secteurs dans lesquels l’Etat s’est réservé le droit d’intervenir. Enfin, elle attaque le système des prix régulés fixés par le gouvernement. De source interne, pour donner des gages à Bruxelles, Jean-François Cirelli serait prêt – notamment – à filialiser les réseaux de transport et à en ouvrir le capital. C’est pour obtenir la communication de la lettre de griefs par le patron de GDF et les réponses qu’il envisage de donner à la Commission que les administrateurs CGT de GDF avaient demandé un conseil d’administration extraordinaire comme le règlement intérieur le leur autorisait. Devant le refus de Cirelli, ils viennent d’assigner le président du conseil d’administration de GDF en référé pour obtenir satisfaction. L’audience aura lieu mercredi 30 août à 11h30.

Il n’est pas sûr que le consommateur de base comprenne grand-chose à ce feuilleton interminable, dont le premier épisode remonte à l’après-midi du samedi 25 février 2006. Ce jour-là, à Matignon, Dominique de Villepin a réuni Thierry Breton, ministre de l’Economie, Jean-François Cirelli et Gérard Mestrallet. Devant la presse convoquée à la hâte, le Premier ministre annonce que la société nationale Gaz de France va venir au secours du groupe privé Suez pour le sauver des griffes de l’électricien italien Enel. Rien de moins, rien de plus. Cette pure opération de sauvetage s’inscrit dans le cadre du patriotisme économique alors que l’indien Mittal Steel vient de lancer son OPA sur Arcelor. L’Europe de l’énergie résonne également de la bataille menée en Espagne par l’allemand E.ON sur l’espagnol Endesa pour 23 milliards d’euros.

En ciblant Suez, Fulvio Conti, administrateur d’Enel, a bien choisi. Le groupe de Gérard Mestrallet est une superbe proie compte tenu de son parc nucléaire (Electrabel) et de son poids dans le gaz naturel (Distrigaz). Pour contrer les Italiens, qui disposent de 50 à 70 milliards d’euros pour faire leurs emplettes, le salut de Suez passe par la fusion avec un groupe ami d’une taille dissuasive, GDF, et surtout protégé par le bouclier public.

Sur le papier, Dominique de Villepin a les meilleures raisons du monde de se faire le chantre du rapprochement. Avec 15 millions de clients dans le gaz et 6 millions dans l’électricité, le nouvel ensemble, leader mondial en matière de gaz naturel liquéfié, sera le premier fournisseur de gaz d’Europe et le 5e électricien. GDF, jusque-là sous-dimensionné, ne perdra rien au change. Bien au contraire : la fusion se fera à parité – une action GDF contre une action Suez. Tout paraît réglé comme du papier à musique. Le Parlement devra simplement voter la modification de la loi d’ouverture du capital votée en décembre 2004, en autorisant l’Etat, qui possède 70% de GDF, à descendre sa participation à 34%.

Pour le Premier ministre, qui a l’appui de Jacques Chirac, tout cela n’est qu’une simple formalité. Celle-ci sera réglée lors d’un débat parlementaire prévu en juin 2006. Quatre mois semblent suffisants. Villepin se trompe lourdement. Passent encore les coups de gueule de la gauche et des syndicats. Mais c’est des propres rangs de la majorité que s’élève la mobilisation la plus directe contre le projet de fusion.

Bien vite, les gaullistes sociaux, appuyés par les centristes, trouvent que « tout cela manque de souffle et d’ambition européenne » (Marc-Philippe Daubresse, député UMP du Nord et ancien ministre délégué au Logement) et que « le rôle de Premier ministre n’est pas d’être le porte-parole d’une simple fusion industrielle, mais d’avoir une vraie vision » (Claude Gaillard, député UMP de Meurthe-et-Moselle). D’autres s’interrogent également sur la perte de pouvoir de l’Etat en matière de stratégie énergétique et se demandent qui aura le dernier mot « entre le respect du service public et la logique financière de Suez ».

L’interrogation est légitime. Les actionnaires de Suez regardent GDF comme une poule un couteau. Colette Neuville, présidente de l’association de défense des actionnaires minoritaires réclame la disparition pure et simple de la participation de l’Etat : « Quel pouvoir restera-t-il demain aux actionnaires si, en plus des copains des dirigeants, l’Etat nomme un tiers des administrateurs ? » Sur le fond, les actionnaires se demandent quelle sera la compétitivité du groupe si les pouvoirs publics conservent leur liberté de fixer les tarifs. Interrogé par Neuville la veille de l’assemblée générale de Suez, en mai, Mestrallet lui aurait prêché la patience : « On n’abat pas toutes les colonnes du temple en un jour. »

Passer avant les vacances

Tout cela n’est pas vraiment fait pour calmer le jeu. D’autant que les élus font une fixation sur les tarifs, peu soucieux de voir leurs électeurs amalgamer la hausse – naturelle – de leur facture gazière avec la privatisation de GDF. Le Conseil d’Etat en a remis une louche : il a ainsi refusé d’autoriser un débat séparé, fixé à une autre date, sur l’ouverture totale des marchés de l’électricité et du gaz en juillet 2007, comme le souhaitaient Matignon ou certains responsables politiques, tels Edouard Balladur ou Pierre Méhaignerie, président de la commission des Finances. « Dès lors que tout était mélangé, on pouvait être sûr que les problèmes de prix de l’énergie allaient percuter durement le rapprochement GDF-Suez », explique un analyste (voir l’encadré).

Désormais, les préoccupations locales rejoignent, voire dépassent, les considérations nationales. Conséquence : à la mi-juin 2006, alors que Matignon pense toujours pouvoir passer avant les vacances, Bernard Accoyer, député de la Haute-Savoie et président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, reconnaît qu’ « il n’y a pas une majorité suffisante » pour adopter le projet. Bref, l’affaire semble suffisamment mal partie pour que Dominique de Villepin, démonétisé par l’échec du CPE, décide de reporter le débat au début de septembre. Presque trois mois de plus, le temps pour les ministres concernés, Thierry Breton, à l’Economie, et François Loos, à l’Industrie, de vraiment mouiller le maillot. Le temps pour les syndicats d’en appeler aux députés de la majorité qu’ils ont repérés comme hostiles à la fusion. Le temps que les machines de guerre de GDF et de Suez tournent à plein régime. Une fusion à tout prix ?

La nouvelle fera plaisir aux actionnaires de Suez. Mais elle risque de défriser les députés, qui ne veulent en aucun cas voir lier la question de la facture énergétique de leurs électeurs à la fusion GDF-Suez. Selon la CGT, l’un des multiples griefs avancés par la Commission européenne à l’encontre du nouveau groupe serait le maintien de tarifs régulés, contraires aux lois du marché. Une attaque en règle contre la possibilité pour l’Etat de fixer des prix « politiques » de l’électricité et du gaz. Tout le monde sait que, si GDF-Suez devenait libre de ses tarifs, la facture gazière des consommateurs domestiques augmenterait naturellement. De fait, les cours du gaz sont indexés sur ceux du pétrole. Mais l’Etat, plus soucieux du pouvoir d’achat des Français que des comptes de ses sociétés nationales, n’a jamais autorisé GDF à répercuter les hausses de la matière première qu’il subissait plein pot. D’où un rattrapage à prévoir, qui – normalement – pourrait atteindre entre 30 et 40%. Manifestement, le vent ne va pas dans ce sens. Du fief des élus montent les plaintes des industriels locaux, qui, après avoir largement bénéficié d’une baisse de leur facture immédiatement après l’ouverture du marché, en 2000, sont aujourd’hui frappés par des augmentations massives (jusqu’à 70% en trois ans) de l’électricité et du gaz et qui réclament de réintégrer le giron protecteur des tarifs régulés d’EDF ou de GDF. Depuis trois ans, Pierre Méhaignerie s’est fait le chantre du retour à des conditions négociées. Frédéric Imbrecht, à la CGT des mines et de l’énergie, boit du petit lait : « Méhaignerie montre que la première vague de libéralisations a été un échec. Pourquoi ne s’oppose-t-il pas à l’ouverture de juillet 2007 ? »

Pas de trêve estivale : toutes les occasions sont bonnes pour prendre langue, argumenter et convaincre. Avec plus ou moins de bonheur. Thierry Coste, patron de Lobbying et stratégies, commente, épaté : « Cela a été une vraie campagne comme on n’en fait pas souvent en France. Les lobbyistes se sont d’autant plus lâchés qu’ils avaient l’appui du politique. »

A GDF, Jean-François Cirelli – qui s’imagine fort bien succéder à Gérard Mestrallet quand le moment sera venu – fait donner les réseaux mis en place quand il était directeur adjoint du cabinet de Jean-Pierre Raffarin. Mestrallet, chez Suez, mobilise en interne l’impressionnante force de frappe de la Lyonnaise des eaux. Plusieurs centaines de missi dominici recrutés de longue main au niveau des régions, des départements ou des communes, qui ont l’habitude des élus locaux et qui connaissent leurs habitudes, leurs passe-temps ou leurs passions.

Bien sûr, chacun est traité selon son importance. Le patron s’occupe personnellement du gratin. Si Mestrallet fréquente volontiers l’Assemblée nationale, il rencontre aussi bien dans ses bureaux de Suez, dans des restaurants en public – la légende court d’un repas à plus de 300 convives – ou des appartements de tiers plus feutrés. Des personnalités amies comme Antoine Veil, Jean-Louis Beffa ou Jean Peyrelevade sont sollicitées pour servir d’intermédiaire ou faire lever la pâte. Un incessant travail de professionnels, quitte à en faire trop. Le groupe qui sponsorise les Bleus a ainsi invité une vingtaine de députés, dont Jérôme Chartier, député du Val-d’Oise, à la finale de la coupe du monde. Tollé !

Tailler en petits morceaux

Est-ce la canicule ? La béchamel ne prend toujours pas. Le principal grumeau reste la baisse de participation de l’Etat à 34% dans GDF. Pour les opposants au projet – qui rejoignent en cela la gauche et les syndicats – l’Etat ne peut pas renier sa parole : en décembre 2004, dans le cadre de la loi sur la transformation d’EDF et de GDF en sociétés anonymes, il s’était engagé par la voix de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Economie, à ne pas descendre au-dessous de 70% de participation au capital des entreprises nationales.

Miracle ! Le 27 juillet, Jean-Claude Lenoir, député UMP de l’Orne et rapporteur du projet de loi sur l’énergie, sort un « plan B ». Son idée est de couper GDF en deux : l’Etat garderait ainsi certaines activités régulées, comme le transport, la distribution et le stockage, tandis que les activités les plus concurrentielles seraient vendues à Suez. Vociférations du côté des syndicats, pour lesquels la seule fusion valable est celle d’EDF et de GDF. Ce qui n’effraie pas certains députés de droite, comme Dominique Paillé, député sarkozyste des Deux-Sèvres, qui appelle à la création d’un groupe Energie de France.

Bercy et les patrons de GDF et de Suez ont à peine le temps de tailler en petits morceaux le plan Lenoir, qui ruine toute idée de fusion, que Patrick Devedjian, député UMP des Hauts-de-Seine, dégaine le 28 juillet son « plan C ». A la grande colère de Jean-François Cirelli, qui pond un communiqué vengeur, enjoignant aux politiques de ne pas se mêler de son job. L’ingrat ! Favorable à la fusion, l’ancien ministre délégué de l’Industrie et conseiller de Nicolas Sarkozy a essayé de trouver un compromis entre les 34% du mariage et les 70% de la loi. Il propose ainsi de créer une société indépendante qui gérerait les réseaux de transport d’électricité et de gaz. Selon Devedjian, cette réorganisation aurait deux avantages majeurs : d’une part, elle permettrait à l’Etat de conserver 73% du nouvel ensemble ; d’autre part, elle fournirait une réponse anticipée aux différents griefs que ne manquerait pas de formuler le commissaire européen à la concurrence vis-à-vis du nouveau groupe.

C’est aujourd’hui chose faite. La Commission, qui s’était saisie à la fin de juin des éventuels problèmes posés par la fusion en matière de libre concurrence, a envoyé le 19 août une lettre de reproches de 200 pages musclées aux présidents de GDF et de Suez. A charge pour eux de répondre dans les dix jours. Si le contenu précis de la lettre n’était pas encore connu à la fin d’août, le mot « monopole » y revenait apparemment souvent, qu’il s’agisse de la Belgique ou de la France.

Report du débat

Les cessions d’actifs – comme l’électricien belge SPE ou la mise à disposition de la concurrence de volumes de gaz en France – suffiront-ils à apaiser Bruxelles ? Ce serait un soulagement au siège de GDF et de Suez, où certains responsables craignent que la Commission ne leur demande de tailler dans les terminaux méthaniers, comme Zeebrugge, ou dans les réseaux de transport. Gérard Mestrallet a déjà indiqué qu’il ne dépouillerait pas Suez pour l’amour de la fusion. De son côté, Thierry Breton a laissé entendre, en privé, qu’il y avait aussi une limite à la cession d’actifs pour GDF. La Commission fera connaître sa réponse définitive à la fin d’octobre, sinon au début de novembre. A Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Frédéric Imbrecht, secrétaire général de la Fédération énergie de la CGT, qui réclame le retrait du projet de loi, demande : « Comment se prononcer sur une fusion dont les conditions peuvent encore changer ? » Force ouvrière énergie s’est contentée, elle, de demander le report du débat.

Pas d’illusions. Celui-ci aura bien lieu et dans les temps. Le 15 août, accusé d’avoir suscité les plans Lenoir et Devedjian pour torpiller le projet Villepin, Nicolas Sarkozy est sorti du bois : tout en reconnaissant que « le sujet était délicat », il a donné son accord à la constitution d’un « grand pôle énergétique français ». L’Elysée vaut bien une messe et un coup de canif dans la lettre envoyée le 29 avril 2004 selon laquelle « EDF et GDF ne seront en aucun cas privatisés ».

Le coup de sifflet du surveillant en chef Sarkozy ramènera-t-il la paix dans la cour de récré ? A une semaine des premiers échanges parlementaires, Bernard Accoyer affirme, lui, avoir retrouvé sa majorité perdue. Mais l’opposition interne n’a pas – encore ? – désarmé. De 40 à 60 députés UMP – sans parler des indécis – seraient ainsi prêts à « faire entendre une voix divergente », estime Dominique Paillé. « Si je n’ai pas d’assurances en matière tarifaire, je ne voterai pas le texte », affirme Pierre Méhaignerie. « Il reste des questions sur lesquelles nous n’avons pas de réponse nette », souligne Marc-Philippe Daubresse, qui admet, comme Claude Gaillard, de très nets progrès sur le plan de la stratégie énergétique nationale. L’annonce par Bercy que l’Etat se réservera – en plus de ses 34% – trois golden shares (dans le transport, les terminaux méthaniers et les stockages stratégiques) lui permettant de s’opposer aux décisions de GDF-Suez menaçant la continuité et la sécurité d’approvisionnement en énergie devrait contribuer à apaiser les esprits. Même si Bruxelles a d’ores et déjà fait savoir son opposition à ce genre de droits réservés. Manœuvre de dernière heure ? Enel, ses grandes dents et ses 50 milliards d’euros de crédits permanents ont refait surface le 21 août. En échange d’un pacte de non-agression, Matignon aurait – selon Le Parisien – demandé à Air France-KLM de prendre la compagnie italienne Alitalia sous son aile. « Un tas de stupidités », selon Air France.

Reste qu’Enel ne fait plus aussi peur. Au contraire, certains – à droite comme à gauche – veulent y voir un allié potentiel alors que rôdent en Europe de nouveaux prédateurs, comme l’ogre gazier russe Gazprom. A l’heure des rétorsions russes envers l’Ukraine, l’Europe, qui doit assurer son indépendance énergétique, a besoin de champions à sa taille. Capables de faire le bras de fer avec la Russie ou l’Algérie. Avec 20% des approvisionnements européens, GDF-Suez peut avoir cette ambition-là. L’alliance avec Enel serait alors le deuxième étage d’une fusée à plus longue portée quand se profile l’impensable, la constitution d’une sorte d’Opep du gaz. Le 9 août, le russe Gazprom et l’algérienne Sonatrach, qui représentent à eux deux 36% des importations européennes, ont annoncé leur alliance. Sans aucune forme de débat, alors que les députés UMP ont trouvé un nouveau sujet de dispute : l’emploi ou non du 49-3 pour endiguer la marée des amendements socialistes.

Politiques

Entreprises et gouvernement font du lobbying pour la privatisation du gazier.

Suez-GDF : profusion d’attentions auprès des députés UMP Par Nathalie RAULIN

QUOTIDIEN : Mardi 18 juillet 2006 – 06:00

C’est l’été de la tentation pour les parlementaires UMP. Appelés à se prononcer sur le projet de fusion Suez-GDF en septembre, députés et sénateurs de la majorité font depuis plusieurs semaines l’objet de touchantes attentions de la part des principaux acteurs du dossier, entreprises et gouvernement. A neuf mois d’une présidentielle, les élus veulent y réfléchir à deux fois avant de donner le feu vert à la privatisation du gazier, maître d’une partie de la facture d’énergie de leurs électeurs. Averti mi-juin par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, qu’il n’y avait « pas de majorité pour voter ce texte », l’exécutif a choisi d’atermoyer, le temps pour ministres et PDG de remplir les têtes (ou à défaut les ventres) et d’amuser les esprits.

Réticence déclarée. Côté relations publiques, Suez et Gaz de France ont du savoir-faire. Sitôt le projet arrêté, leurs lobbyistes sont entrés en scène. Etape par étape, en commençant par la première : fournir aux parlementaires le kit du « pourquoi vous devez voter pour la fusion ». Synthèse sur les enjeux, note sur la « logique » du rapprochement, lettre personnalisée cosignée par les deux patrons, Jean-François Cirelli pour GDF, Gérard Mestrallet pour Suez, devaient suffire à forger l’opinion de ceux qui n’en avaient pas.

Devant la réticence déclarée des élus UMP, les deux groupes ont mis les bouchées doubles. Mi-juin, les directions commerciales de Suez (en relation, via la Lyonnaise des eaux, avec quelque six mille collectivités locales) et de Gaz de France sont priées d’aller au contact, directement dans les permanences. « J’ai reçu la visite de directeurs régionaux de GDF, confirme Jacques Myart, député-maire (UMP) de Maisons-Laffitte (Yvelines). Ils se sont fait ramasser. Ils n’ont aucune vision des enjeux stratégiques nationaux et européens. » Pour plus de crédibilité, les PDG eux-mêmes mouillent la chemise. Mestrallet comme Cirelli se rendent au grand galop aux auditions parlementaires : ils seront de nouveau entendu demain par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale. Les deux patrons répondent à toutes les demandes d’entretien des élus UMP, quand ils ne les devancent pas. Histoire de joindre l’utile à l’agréable, le patron de Suez invite les élus par petites fournées dans un restaurant huppé des Champs-Elysées. A en croire un proche, Mestrallet aurait ainsi eu un « contact direct » avec près de 300 parlementaires. Et ce jusque dans les coulisses de la finale de la Coupe du monde de football à Berlin. Une vingtaine de parlementaires, dont Jérôme Chartier (UMP, Val-d’Oise) et Philippe Vitel (UMP, Var), ont ainsi accepté les places généreusement proposées par Suez, à la fois parrain des Bleus et partenaire de la Fédération française de football. « Une finale, c’est un moment très particulier, explique Jérôme Chartier. Ce n’est pas ça qui détermine un vote. Au mieux, cela permet de discuter librement du dossier. »

Contre-offensive. Sollicités, Patrick Ollier, président (UMP) de la commission des Affaires économiques, et Marc Laffineur, vice-président (UMP) de la commission des Finances, ont décliné, « choqués » de cette invitation « déplacée ». Chez Suez, on dit pourtant n’avoir eu « aucun mal » à pourvoir la poignée de places disponibles pour la finale, les rares refus ayant été surtout motivés par un problème de « disponibilité »…

Les politiques sont tout aussi mobilisés. Le ministre de l’Economie, Thierry Breton, propulsé pilote en chef du dossier par un Dominique de Villepin démonétisé, a lancé sa contre-offensive le 28 juin. Ce mercredi-là, tous les parlementaires UMP sont conviés à Bercy pour un « déjeuner de fin de session ». « C’était histoire de dire… Bercy n’avait jamais organisé ce genre de déjeuner », sourit un député UMP. Quelque cent cinquante parlementaires répondent à l’invitation du ministre. Lequel profite de ce moment de convivialité pour les gaver de Suez une heure et demie durant. Décidé à faire oeuvre de pédagogie, Thierry Breton ne lésine pas sur les auditions-explications ­ trois devant la commission des affaires économiques, une autre devant le groupe UMP.

Dans le même temps, Bercy, mais aussi Matignon et l’Elysée, multiplient les rencontres en tête-à-tête ou en comité restreint avec des élus triés sur le volet. Un traitement de faveur dont ont notamment bénéficié François-Michel Gonnot (Oise) et Claude Gaillard (Meurthe-et-Moselle), ancien administrateur de GDF. Adversaire résolu de la fusion, ce dernier explique sans fausse modestie disposer d’une « certaine cote de confiance auprès de ses collègues ». D’autres sont sondés à l’improviste, à l’instar de Michel Bouvard (Savoie), interrogé sur le dossier à Matignon par les conseillers du Premier ministre, à l’issue du Conseil national sur la montagne, sans aucun rapport avec la fusion. Pour arriver à ses fins, le gouvernement soigne lui aussi les ego : « Je n’ai jamais été invité à autant de garden parties ministérielles pour le 14 juillet, sans compter les réunions où nous sommes conviés depuis le début du mois à Bercy, à Matignon ou à l’Elysée », confie un député UMP, spécialiste des questions énergétiques. Lettre ouverte. Courtisés, les députés UMP ne perdent pas la tête. Dans une lettre ouverte publiée le 12 juillet, Jean-Michel Dubernard (Rhône), Alain Gest (Somme), Marc Laffineur (Maine-et-Loire), Marie-Anne Montchamp (Val-de-Marne) et Axel Poniatowski (Val-d’Oise) ont exhorté les deux PDG à lever les « doutes », les « interrogations » et à « recentrer » le débat sur le projet industriel. La veille, ces cinq élus partageaient leur petit-déjeuner avec Jean-François Cirelli. « On entend trop les politiques, pas assez les chefs d’entreprise », explique Alain Gest (Somme). Question d’affichage donc.

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Vendredi 21 Juillet 2006

ÉNERGIE LES PRÉSIDENTS DES DEUX ENTREPRISES AUDITIONNÉS À L’ASSEMBLÉE

GDF-Suez : intense lobbying pour convaincre les députés UMP

IL NE SERA PAS DIT que le projet de fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez est resté en plan durant l’été. Gouvernement, parlementaires et dirigeants des deux groupes se démènent pour vendre le projet à l’opinion, fléchir les nombreux députés UMP encore hostiles à l’opération et déminer le terrain avant l’examen du projet de loi sur l’énergie qui doit débuter le 7 septembre à l’Assemblée nationale. Dénoncé par la gauche, une partie de la majorité et tous les syndicats, le texte prévoit notamment la privatisation de GDF, préalable indispensable à son mariage avec Suez.

Après petits-déjeuners et déjeuners avec certains élus, le ministre de l’économie va poursuivre ses contacts et ses entretiens.  » Je consacre l’été à rencontrer les parlementaires qui le souhaitent « , confiait Thierry Breton, mardi 18 juillet, dans un entretien au Figaro. Au nomde l’ » intérêt national  » et de l’avenir de GDF, assure-t-il, puisque le groupe public doit nouer des alliances pour rester compétitif dans un secteur européen de l’énergie en pleine concentration.

DES INVITATIONS POUR LE MONDIAL

Les PDG des deux groupes ne sont pas en reste. Il y a quelques semaines, Jean-François Cirelli (GDF) et Gérard Mestrallet (Suez) avaient adressé à chaque parlementaire un kit d’explication sur les avantages de la fusion. Mercredi, ils ont été auditionnés par la commission des affaires économiques de l’Assemblée pour justifier la création du premier groupe énergétique européen,  » à dominante gazière « . Un atout, ont-ils plaidé, alors que le gaz représentera 40 % de l’énergie primaire consommée dans l’Union européenne en 2020.

Les deux entreprises multiplient les initiatives pour sauver un projet suspendu au bon vouloir du Parlement. Elles ont investi dans une coûteuse campagne publicitaire assurant que la fusion renforcera  » la sécurité d’approvisionnement  » dans le  » respect des missions de service public « . Suez s’est livré à un lobbying aussi intense que discret. Outre la création d’une  » task force  » pour vendre la fusion aux élus et les nombreuses rencontres de M. Mestrallet avec des parlementaires, le groupe, parrain de l’équipe de France de football, en a invité certains au Mondial. Dont les députés UMP Jérôme Chartier (Val-d’Oise), Eric Woerth (Oise) et Philippe Vitel (Var), ou le sénateur Ladislas Poniatowski (Eure), rapporteur du projet de loi au Sénat.

 » Sur 700 invités au total, il y a eu une vingtaine de parlementaires, dont dix pour la finale « , confirme le groupe, qui assure n’avoir  » pas choisi des anti-fusion pour les convaincre, mais des pro-foot.  » Patrick Ollier (UMP), président de la commission des affaires économiques, confiait récemment à Libération qu’il était  » choqué  » par de telles invitations. Patron du groupe communiste, Alain Bocquet a demandé au président de l’Assemblée, Jean-Louis Debré, la liste des élus qui en ont bénéficié.

La mobilisation de l’encadrement va aussi bon train. Une association des cadres de GDF – dotée d’un site Internet – a été créée, le 4 juillet, pour  » défendre les intérêts de l’entreprise, des clients et de l’ensemble des collaborateurs du groupe « , expliquent ses responsables dans une lettre adressée aux parlementaires.  » Cette association créée de toutes pièces par M. Cirelli ne représente pas les cadres de GDF « , a réagi la CGT des cadres de l’énergie.

Ce savant mélange de pédagogie et de lobbying n’a pas levé les  » doutes  » et les  » interrogations  » de nombreux parlementaires. Les syndicats restent, eux, hostiles au projet. Y compris la CFDT, qui n’a  » jamais soutenu la privatisation de GDF « . Les députés PS ont donné, mercredi, un avant-goût de l’ » offensive généralisée contre le gouvernement  » annoncée par François Hollande en boycottant l’audition des PDG des deux groupes, qualifiée de  » mascarade « , et en annonçant  » le dépôt de 15 000 à 20 0000 amendements « .

Jean-Michel Bezat