Intervention de Jean Desessard, DG sur le Projet de Loi « Sécurisation de l’emploi », 17 avril 2013

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le Rapporteur, Mes chers collègues

Je traiterai ce projet de loi sous trois angles :

–        celui de la démocratie sociale

–        celui des droits nouveaux

–        celui de la sécurisation de l’emploi

Si l’on peut se réjouir qu’à l’issue d’une grande conférence sociale, les partenaires sociaux aient abouti à un accord national interprofessionnel, il importe aussi de le situer dans le contexte social et économique.

Pour plusieurs raisons, la représentation nationale ne peut souscrire de façon automatique à sa retranscription législative.

–  Qui est garant du contexte législatif économique, des mesures fiscales, sinon le gouvernement et le parlement ?

Cette question nous reporte vers l’analyse de la crise. Est-ce simplement une question du coût du travail en France ? Est- ce une crise de surproduction à l’échelle internationale ? Est-ce une crise financière, écologique ? Une conjonction de l’ensemble de ces crises ?

Vous comprendrez bien, chers collègues, que selon la réponse apportée sur la nature de la crise, les réponses quant aux solutions seront différentes. Pour certains, il suffit de travailler toujours plus et d’abaisser le coût du travail, salaire direct, cotisations et droits sociaux pour le rendre compétitif. Pour d’autres, il s’agit d’une meilleure gestion des ressources, du partage du travail, d’une coopération européenne et internationale, du maintien d’une politique sociale et fiscale de solidarité.

– Au titre de la solidarité, qui au final est le garant de la place accordée à l’indemnisation du chômage, à la prise en compte des personnes hors du champ productif, à l’organisation des temps partiels ?

Enfin, dans l’état actuel de l’économie, d’inquiétude des salariés, le contexte est-il en faveur des salariés dans le cadre de négociations paritaires.

Monsieur le Ministre, vous avez parlé d’un accord historique. Il convient de mesurer la portée des droits nouveaux.

– S’il s’agit du droit à la mutuelle complémentaire, il s’agit d’une extension aux salariés des très petites entreprises, ce qui est souhaitable. Mais ce droit à la santé pour toutes et tous n’est pas nouveau ; ce qui est nouveau, c’est que la sécurité sociale n’est plus en mesure de l’apporter.

– S’il s’agit des droits rechargeables pour l’assurance chômage, c’est une question de bon sens qui aurait dû être réglée depuis longtemps dans le cadre de l’UNEDIC et aujourd’hui, rien ne dit que cela soit réglé financièrement, sinon au détriment d’autres catégories de demandeurs d’emploi.

– S’il s’agit du droit individuel à la formation, il reste à en définir les modalités concrètes et précises, pour que cela ne soit pas un droit virtuel. De fait, cela fait apparaître aujourd’hui l’inaptitude de l’organisation de la formation professionnelle et de l’urgence d’y remédier.

– S’il s’agit de la mobilité externe, il s’agit d’une adaptation plutôt intelligente du congé sabbatique.

– S’il s’agit de la participation de représentants de salariés au CA de l’entreprise, nous sommes encore loin d’un processus de codécision avec droit de véto des organisations de salariés, comme cela se pratique en Allemagne…

Si l’on cherche un droit nouveau, c’est la transposition d’un droit collectif des salariés dans le code du travail vers un droit individuel, certes encore sous le contrôle des organisations syndicales, mais pour combien de temps ? De plus, dans certains cas, ce projet de loi transgresse ce contrat individuel au nom d’intérêts collectifs supérieurs…. Alors, où est la logique ?

Enfin, quelle est la nature de la sécurisation de l’emploi…

Si l’on comprend la mise en place de plan social d’entreprise pour réagir à temps en situation de crise en demandant un effort de tous, il convient de limiter ces dérogations au droit de travail aux situations d’urgence.

Or, quelles sont les garanties pour que seules les situations de crise soient évoquées pour mettre en place un plan social ?

L’employeur pourra toujours justifier que pour la sauvegarde à terme de l’entreprise, il faut anticiper les mutations économiques. Pour faire face à la concurrence, il faut baisser le coût du travail, soit le salaire, soit les effectifs. Cela participe à un effet boule de neige, l’employeur concurrent anticipant cette situation voudra lui aussi baisser ces coûts.

Cette course à la rentabilité maximum fait-elle partie de nos objectifs de progrès social ?

De même, dans ce texte, on ne sécurise pas le contrat de travail et les procédures pour le faire respecter. Comme vous le dîtes, Monsieur le Rapporteur, le texte ne parle pas de flexibilité… et pourtant elle existe, elle est bien là…

S’il y a dans certains secteurs nécessité d’une souplesse dans l’organisation du travail pour s’adapter au caractère saisonnier, à la périodicité hebdomadaire, voire journalière des activités, elle doit être compensée par une sécurisation du revenu, et une garantie sur les conditions de travail.

A ce titre, si l’on peut se réjouir de l’encadrement des activités à temps partiel, on peut s’inquiéter que les multiples dérogations soient elles-mêmes peu encadrées.

Si vous me permettez, Monsieur le Ministre, une allégorie.

Vous nous proposez de rejoindre des rivages lointains et prometteurs de bien vivre et de bonheur.

Pour cela, il nous faut traverser l’océan et là, les éléments sont déchaînés…

Donc, il y a risque de naufrages, donc on affrète des bateaux de survie…

Bien sûr, on ne nous propose pas le radeau de la méduse, mais nous sommes dans le canot de sauvetage, avec rations de survie pour les membres de l’équipage.

Et les droits nouveaux, c’est après, c’est pour demain, après toutes les épreuves, lorsqu’on rejoindra les rivages lointains de la croissance revenue.

La question est posée. Sommes-nous tous en situation de survie, sommes-nous tous en situation de naufrage ?

Devons-nous adapter tous les contrats de travail à cette situation de détresse ?

Sans doute, pour nombre d’entreprises, mais combien de fonds de pension créent la tempête pour justement couler les fiers et beaux voiliers et en récupérer les épaves.

S’il est nécessaire d’adopter des mesures pour des circonstances exceptionnelles, il est à craindre qu’elles s’étendent à l’ensemble des relations sociales et qu’elles deviennent la NORME.

C’est pourquoi deux organisations syndicales, sans nier les accords d’entreprise pour sauver des situations industrielles en mauvaise posture, ne souhaitent pas que tous les rapports sociaux soient traités au regard de ces situations de crise.

Par contre, d’autres organisations syndicales, conscientes d’une nécessité de réorganisation, d’adaptation, disent qu’il faut lancer dès maintenant la dynamique, pour répondre à la crise.

En réalité, il est dommage que le dialogue social ne soit pas allé plus avant, n’ait pas davantage défini ce qui relève des situations d’urgence et ce qui relèverait de nouveaux droits sociaux, avec les modalités concrètes de mise en œuvre.

C’est pourquoi, ce projet laisse la place aux interrogations, aux doutes, au risque de la régression sociale, comme à la possibilité d’instaurer de nouveaux droits.

C’est pourquoi le Groupe écologiste de l’Assemblée s’est abstenu. Quant au Groupe Ecologiste du Sénat, nous avons déposé des amendements pour clarifier les positions.

En conclusion, chers collègues,

Oui, la crise est là, Oui, la crise est d’importance, Oui, il faut réagir,

Mais Non, ce ne doit pas être l’occasion pour en demander toujours plus aux salariés.

Ce doit être, à contrario, l’opportunité de définir de nouvelles relations sociales.

Cette crise peut aussi effectivement être l’occasion de l’instauration d’une véritable démocratie sociale.

A nous, Législateurs, de veiller à ce qu’il en soit ainsi, de donner une vision d’avenir en réponse aux difficultés sociales et économiques d’aujourd’hui.