Intervention de Jean Desessard sur les conclusions de de la Commission mixte paritaire chargée concernant la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale – 12 juin 2014

 

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

 

Les sénatrices et sénateurs écologistes se félicitent de la prochaine adoption de cette proposition de loi et se réjouissent que la commission mixte paritaire ait largement entériné les propositions que nous avions faites au Sénat.

 

Je note que l’intitulé de ce texte est désormais : « proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale ». Il n’y est donc plus expressément question de dumping social, mais l’esprit demeure. Les mesures prévues par le texte forment un ensemble cohérent de règles et de procédures pour lutter contre ces situations de dumping social, donc de concurrence sociale déloyale, ou de travail clandestin.

 

La responsabilité solidaire du donneur d’ordre, étendue aux conditions de vie des travailleurs, aux libertés fondamentales et à tous les aspects du droit du travail, est une avancée qui permet de sanctionner ceux qui, trop souvent, ferment les yeux sur les pratiques de leurs prestataires.

L’inscription sur une liste noire, laissée à l’appréciation du juge, des entreprises prestataires de services condamnées pour des infractions constitutives de travail illégal est une sanction dissuasive.

 

Enfin, la possibilité pour les syndicats d’attaquer des employeurs en justice sans mandat du travailleur concerné est également un grand pas en avant puisque, bien souvent, ces travailleurs sont soumis à des pressions et ne maîtrisent pas le français ni les subtilités de nos procédures judiciaires. Ce sont là trois avancées importantes.

 

Cela a été dit en première lecture, notamment par vous, monsieur le ministre, toutes ces mesures n’ont pas pour objectif de lutter contre le détachement en lui-même. Dans une Europe ouverte, les travailleurs des États membres doivent pouvoir se déplacer librement. D’ailleurs, les Français sont nombreux à être détachés : on en comptait 169 000 en 2011, soit à peu près autant que de travailleurs détachés accueillis en France à la même date, à savoir 144 000.

 

L’objectif de cette proposition de loi est de lutter contre les abus, quand des travailleurs accueillis dans notre pays se voient offrir des conditions de travail et d’hébergement indignes. Cela aussi a été dit : les fraudes et les abus sont loin d’être négligeables.

 

Les écologistes voteront ce texte, car il contient un panel efficace de sanctions et sa philosophie générale correspond à nos valeurs.

 

Mais ce texte ne peut nous dispenser d’envisager la lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale de manière globale au niveau européen, ainsi que vous l’avez dit, madame la rapporteur. Les faits sont là : pour les ouvriers peu qualifiés du BTP, les cotisations patronales s’élèvent à plus de 50 % en France, contre seulement 20 % en Pologne. Ces écarts très importants sont une source d’économies pour les employeurs, car les salariés sont affiliés au régime de sécurité sociale de leur pays d’origine.

 

La solution, je l’ai déjà évoquée, vous l’avez évoquée, monsieur le ministre, madame la rapporteur, c’est une harmonisation à la hausse des systèmes sociaux en Europe, accompagnée de l’émergence d’une organisation européenne du travail et d’une coopération syndicale européenne, pour garantir efficacement la défense des travailleurs, quel que soit leur pays d’origine.

 

Ces bonnes intentions – on peut même parler de volonté, car vous avez souligné, monsieur le ministre, votre détermination à vous battre pour obtenir des avancées au niveau européen – sont partagées, mais elles sont remises en cause par le traité transatlantique actuellement négocié. Les pourparlers sont malheureusement tenus secrets, et nous le déplorons, mais les éléments de son contenu qui ont filtré dans la presse suscitent de grandes inquiétudes.

 

Comment parler de coopération dès lors que le libre-échange absolu sera la règle entre l’Europe et les États-Unis ? Comment parler d’harmonisation à la hausse alors que les multinationales auront la possibilité d’attaquer devant un tribunal ad hoc les politiques publiques contraires à leurs intérêts commerciaux ? Comment parler d’Europe sociale si le droit du travail est considéré comme un frein dans cet espace de libre-échange ?

 

Prenons garde, monsieur le ministre ! Prenez garde ! (L’orateur entonne les premières mesures du refrain du chant « La Jeune Garde ».) Ce traité est contraire aux valeurs écologistes, vous l’aurez compris, mais il est aussi contraire à l’esprit de la loi que nous allons sans doute adopter aujourd’hui et qui s’inscrit, elle, dans un esprit de coopération, et non de compétition.

 

Pour conclure, je veux dire que c’est avec enthousiasme que les écologistes voteront cette proposition de loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.

 

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