Intervention de Jean Desessard sur les articles 61 et 61 bis du PLF 2012 : « Solidarité, Insertion et Egalité des chances ».

Séance du 28/11/2011

« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous attendions avec d’autant plus d’impatience l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion, et égalité des chances » que les chiffres du chômage augmentent, que la crise financière, économique et sociale prend de l’ampleur, que les économies des pays voisins vacillent et que la dette, le manque de solidarité européenne et internationale conduisent les pays les plus fragiles à s’effondrer, tels des châteaux de cartes.

Nous l’attendions, madame la ministre, parce que nous ne voulons pas que la France, à l’image de la Grèce ou de l’Italie, sombre à son tour dans une crise structurelle et qu’elle se retrouve au bord du gouffre.

Nous l’attendions, madame la ministre, parce que nous pensons que c’est non pas l’austérité qui sauve les pays de la faillite, mais une politique à long terme de redistribution des richesses et un État en bonne santé faisant office de parachute sans dorure, mais efficace.

La Grèce, incapable de lever l’impôt, s’est placée dans l’œil du cyclone. Elle ne s’est pas donné les moyens de mettre en œuvre une politique redistributive autrement qu’en s’endettant dans des proportions insoutenables.

Les derniers chiffres de l’INSEE sont parlants et sans ambiguïté : 50 % des richesses de notre pays appartiennent à 10 % des Français. La redistribution n’est pas au rendez-vous en France. Les inégalités sociales, tels des termites invisibles, rongent petit à petit la cohésion nationale. Or, on le sait maintenant, la crise financière de 2008, qui ne cesse de s’aggraver, résulte largement des inégalités existant au sein même des pays riches.

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, madame la ministre, les conclusions du rapport sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont pour le moins préoccupantes.

Si les crédits alloués à la réduction des inégalités et à l’insertion sont en légère hausse, cette augmentation est tout entière affectée au programme « Handicap et dépendance ». En clair, cela signifie que les crédits des autres programmes diminuent. Ceux du programme « Égalité entre les hommes et les femmes » sont en baisse de 5 %, ceux du programme « Actions en faveur des familles vulnérables » connaissent une diminution de 4 % et ceux du programme « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » – et là, c’est le pompon ! – subissent une baisse de 23 %. On croit rêver – que dis-je ? –, on nage en plein cauchemar !

Le RSA, comme je l’ai dit il y a trois ans à M. Hirsch, était au départ une très belle idée : il constituait les prémices d’un revenu universel garanti, destiné à permettre à tous de bénéficier d’une sécurité fondamentale et de retrouver le chemin de l’emploi.

Non seulement le RSA est une bonne idée, mais il est une nécessité face à l’augmentation du chômage de longue durée, du travail discontinu et donc du nombre de personnes sans ressources perdant leur statut social et leur logement. Voilà la réalité contre laquelle il faut lutter !

Amortisseur social, le RSA pourrait aussi être un tremplin permettant à celles et à ceux qui sont au bord du déclassement social de repartir. Aussi baisser le budget dévolu à cette allocation est-il une aberration.

Je rappelle que M. Hirsch avait initialement estimé qu’il était nécessaire de consacrer à la mise en place du RSA une enveloppe de 5 milliards d’euros, mes chers collègues : 5 milliards d’euros ! In fine, le dispositif a été mis en place avec 1,5 milliard d’euros. Aujourd’hui, telle une peau de chagrin, cette enveloppe est réduite à 535 millions d’euros pour 2012. C’est scandaleux, madame la ministre !

Je ne vois pas d’autre mot pour qualifier cette baisse, à part peut-être « irresponsable ».

Cette baisse intervient alors que votre majorité, madame la ministre, a annulé lors de l’examen du PLFSS le relèvement de 0,5 point de la contribution sur les revenus du capital que nous avions proposée. Elle intervient alors que les parachutes dorés demeurent d’actualité et que les niches fiscales réservées aux plus riches sont préservées.

Savez-vous que, sans toutes les baisses d’impôt accordées en France depuis 2000 par la droite, le déficit de la France serait seulement de 1 % aujourd’hui ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais des parlementaires de l’UMP dans un rapport qu’ils ont publié en juillet 2010 !

Avec les 100 milliards d’euros par an que représentent ces baisses, nous aurions largement les moyens de mettre en place un RSA digne de ce nom et d’entamer une reconversion vers une économie durable. Vous allez me dire, madame la ministre, que c’est là un autre sujet, mais dois-je vous rappeler que le RSA a été voté en même temps que le bouclier fiscal ? Et que l’on ne me dise pas qu’une telle fiscalité pénaliserait l’économie puisqu’elle était de mise en 2000 et que personne n’y trouvait alors à redire !

Par ailleurs, le RSA mériterait d’être revu à la hausse non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement, car, depuis le début, il ne permet pas de remplir la mission qui est la sienne. La réalité, madame la ministre, c’est que la mise en œuvre du RSA pose d’immenses problèmes. Le bilan n’est pas bon.

Il y a trois ans, je craignais déjà que cette idée juste ne serve de caution à une politique profondément inégalitaire et que ses effets pervers ne trahissent l’intention louable initiale de M. Hirsch. J’avais alors dit qu’il s’agissait d’un bon concept dans un mauvais contexte.

J’avais expliqué que M. Hirsch avait eu l’intelligence de produire un concept d’assistance dynamique, mais que, compte tenu de la politique menée par le Gouvernement, le RSA ne pouvait être au mieux qu’un palliatif. Il ne constituait pas l’ébauche d’une politique de solidarité, de partage du travail, de justice sociale.

Je soulignais également les effets collatéraux d’un RSA mal mis en œuvre. J’indiquais en particulier qu’il contraindrait ses bénéficiaires à accepter des conditions de travail pénibles, des horaires décalés. Le problème du RMI était qu’il n’incitait pas au retour à l’emploi. Le problème du RSA est qu’il contraint les allocataires à accepter le premier travail venu, parce que « c’est déjà ça ». Toutefois, pour la plupart des allocataires, le petit boulot, les quelques heures effectuées par-ci par-là ne se muent pas en poste à plein temps. Le travailleur pauvre reste un travailleur pauvre.

Ainsi, aucun des objectifs que visaient à atteindre le RSA et son initiateur n’est atteint pour la majorité des allocataires. Pour mémoire, je vais vous les rappeler, en m’appuyant sur l’excellent rapport coordonné par les sociologues Dominique Méda et Bernard Gomel en novembre 2011.

Le premier objectif était de faire en sorte que chaque heure travaillée améliore le revenu final afin que la majorité des bénéficiaires du RSA puisse retrouver un revenu décent. Résultat aujourd’hui : « La grande partie des allocataires se rend compte que pour elle rien n’a changé et qu’elle doit continuer à tenter de survivre avec 467 euros par mois pour une personne seule. S’agit-il vraiment de « moyens convenables d’existence »? », s’interrogent les deux experts.

Le deuxième objectif était de garantir aux allocataires que, en cas de travail discontinu, leurs ressources globales leur permettraient de franchir le seuil de pauvreté. Résultat aujourd’hui : la lourdeur administrative, le manque de moyens de Pôle emploi, ainsi que des procédures inadéquates, telles que la déclaration trimestrielle, que je dénonçais déjà en 2008, favorisent des ruptures administratives lourdes à contrecarrer pour des personnes qui sont déjà en rupture de ban et financièrement très fragilisées.

Le troisième objectif était de permettre aux familles de disposer de revenus plus prévisibles en rendant le système plus lisible pour tous et en évitant les effets de seuil du RMI. Dès qu’il retravaillait, le bénéficiaire du RMI perdait la plupart de ses allocations. Résultat aujourd’hui : « il semble que les effets de seuil n’ont pas été supprimés mais simplement déplacés […] », concluent les sociologues.

Le constat est sévère. Les crédits que nous examinons aujourd’hui auraient dû être à la hauteur du défi. Ils ne le sont pas.

Je n’évoquerai même pas le RSA jeunes lancé quelque temps plus tard : le résultat est carrément désastreux. Comme nous l’a indiqué Mme la rapporteure pour avis, à peine 10 000 jeunes en bénéficient. Et pour cause : il est quasiment impossible d’y accéder, car il faut avoir travaillé deux années pleines au préalable. C’est une blague ! Le résultat était couru d’avance.

Pour faire face à l’exclusion des jeunes, en particulier de ceux ayant déjà un pied dehors, il faudrait revoir complètement le dispositif et permettre à tous, dès l’âge de dix-huit ans, de pouvoir accéder dans les mêmes conditions à un revenu garanti. Nous vous l’avions dit, mais vous ne nous avez pas écoutés.

Nous sommes très déçus, madame la ministre, et surtout profondément inquiets. Quand la cohésion sociale sera détruite, il sera trop tard, en tout cas pour celles et ceux qui en auront le plus subi les dommages, c’est-à-dire les plus pauvres.

Chers collègues, vous qui aimez tant les expériences internationales, n’oubliez pas le cas significatif du Brésil : ce n’est pas en imposant des mesures d’austérité, ce n’est pas en mettant en œuvre des politiques de défiscalisation en faveur des plus riches que l’économie de ce pays a décollé. C’est en revalorisant les salaires et en instaurant des prestations sociales que les Brésiliens ont pu relever la tête et se prendre en main.

Qu’attendez-vous, qu’attendons-nous, madame la ministre, pour tirer les leçons d’expériences qui ont permis à tous de réagir ensemble ?

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les mesures insuffisantes et parfois dangereuses proposées dans cette mission, à l’exception, comme l’indiquait Mme la rapporteure pour avis, des articles 61 et 61 bis, aussi insuffisants soient-ils. »

(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)