Projet de Loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi

Discussion générale – séance du 25 juin 2008

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

Jean Desessard : Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, concernant ce projet de loi, la première question qu’il convient de se poser est la pertinence de son titre. En effet, la notion même de « droits et devoirs des demandeurs d’emploi » implique qu’il s’agisse d’une catégorie de personnes qui auraient un statut bien particulier dans notre société.

Pourquoi ne pas légiférer de la même façon sur les droits et devoirs des dirigeants d’entreprise, des patrons ?

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Déposez des amendements !)

On pourrait ainsi réfléchir à leurs droits en matière de salaires exorbitants,…

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pourquoi pas ?)

… à l’augmentation de leur salaire alors que le pouvoir d’achat de leurs salariés diminue,…

(M. Dominique Leclerc, rapporteur. Qu’a fait Jospin ?)

… aux stock-options…

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On l’a déjà fait, on ne s’en est pas privé !)

… que certains vendent pour réaliser des bénéfices, alors que la société est en difficulté, à l’image de l’ancien président d’EADS, …

(Mme Isabelle Debré. C’est hors sujet !)

… aux parachutes dorés, …

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il ne faut pas vous priver !)

…. aux résidences fiscales exotiques, et je pourrais continuer.

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De l’audace, encore de l’audace !)

On pourrait également s’interroger sur leurs devoirs en matière de formation, de gestion des licenciements, et sur leurs responsabilités concernant, par exemple, les délocalisations, le respect de l’environnement, la santé au travail, l’harmonisation fiscale et sociale à l’échelon mondial. Le titre même de cette future loi pose donc question.

Dans la crise sociale et économique que nous traversons, n’aurait-il pas été plus indiqué de légiférer sur la solidarité à l’égard des demandeurs d’emploi ?

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est ce que nous faisons !)

Pourquoi donc nous proposer aujourd’hui un tel texte ?

On nous dit que c’est nécessaire, car un certain nombre d’emplois ne sont pas pourvus. L’argument reste très vague, et je n’ai pas trouvé d’étude sérieuse qui vienne l’étayer.

Il semblerait que, actuellement, les emplois difficilement pourvus relèvent de deux catégories : d’une part, les métiers très qualifiés, très spécialisés – je pense à la médecine ou encore à l’informatique – et, d’autre part, les métiers que l’on peut qualifier de pénibles, par exemple les métiers du bâtiment ou les métiers de bouche, dont les horaires et les salaires sont très peu attractifs.

(M. Guy Fischer. Les salaires, surtout !)

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les horaires aussi !)

Ce projet de loi ne s’adresse évidemment pas aux cadres et ingénieurs de haut niveau… Il concerne les personnes peu ou pas qualifiées, à qui l’on veut imposer une insertion professionnelle, quelle qu’elle soit, où qu’elle soit.

Monsieur le secrétaire d’État, cela pose la question du projet de société que l’on souhaite pour notre pays. Car ce texte répond évidemment à une logique politique qui veut aligner l’économie française et le monde du travail dans un système mondial néolibéral, un système qui est une immense régression en termes de salaires, de conditions de travail, de durée du temps de travail, notamment.

Cette logique est, bien sûr, le résultat d’une erreur d’analyse, erreur qui consiste à croire que le salut de l’économie française et la compétitivité avec les pays émergents nécessitent la remise en cause des droits sociaux en France et en Europe.

Une autre logique est possible, que je déclinerai en quatre points.

Premièrement, la remise en cause du productivisme comme dogme économique, à l’échelon mondial, avec son idéal archaïque d’une croissance toujours plus forte. Ce dogme est un non-sens écologique et une aberration économique si l’on considère que, dans un délai très court, la moitié de nos activités consistera en fait à réparer les dégâts du productivisme. Il serait temps de s’interroger sur les besoins réels et d’adapter ces besoins aux ressources. Sinon, nous courons à la catastrophe, à la fois économique, sociale et écologique.

Deuxièmement, la mise en œuvre d’une solidarité Nord-Sud et Est-Ouest s’impose. Cela signifie le développement d’une économie de proximité ; je pense particulièrement à l’agriculture et aux services.

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut faire un texte sur ce sujet !)

Chaque pays doit trouver son propre développement, sans domination de l’un sur les autres. C’est la condition d’un développement harmonieux. Cela créera les conditions de la liberté de circulation des personnes et limitera, de fait, l’immigration économique contrainte.

Troisièmement, il est nécessaire que chacun puisse vivre décemment de son travail. L’objectif ne doit pas être, comme cela est sous-entendu dans ce projet de loi, de travailler beaucoup pour pas grand-chose ; il doit être de créer un monde du travail moins pénible, moins stressant, moins culpabilisant. C’est aussi une question de santé publique. En lieu et place d’une société inégalitaire, il faut créer les conditions d’une société équitable et solidaire, dans laquelle, par exemple, le salaire d’un patron ne pourrait pas être cinq cents fois supérieur – cinq cents fois, mes chers collègues, cinq cents fois ! – à celui de l’ouvrier !

Quatrièmement, enfin, il faudrait, bien sûr, revenir sur la notion de temps de travail, sur la place du travail dans la vie, et parler de la question de l’autonomie de la personne, de son développement personnel, et de l’utilité sociale du travail.

Il convient donc de réfléchir sereinement aux politiques qui doivent être mises en œuvre pour permettre à tous l’accès à un emploi.

C’est évidemment bien différent de la réflexion que vous nous proposez ! Vous, vous stigmatisez le demandeur d’emploi, que vous considérez essentiellement comme une personne coupable de ne pas travailler, accréditant ainsi l’image du « chômeur fainéant » responsable de sa situation !

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pas du tout, on veut les aider à trouver du travail !)

Les « demandeurs d’emploi » décrits dans ce projet de loi sont des individus coupables, …

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !)

… coupables de n’avoir pas été assez efficaces, pas assez productifs, …

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ne dites pas cela !)

… coupables de ne pas avoir été assez combatifs hier pour conserver leur emploi, coupables de rechigner aujourd’hui à en chercher un nouveau !

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ne dites pas cela de ces gens-là !)

À vous entendre, si le chômeur ne retrouve pas d’emploi, c’est parce que, au fond, il ne le veut pas !

(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas du tout cela !)

Votre projet nie tout simplement les difficultés de la vie et la responsabilité de notre système économique.

Il faut cesser de diaboliser les chômeurs ! De leur faire payer l’incapacité du marché du travail à leur fournir un emploi digne, correspondant à leurs attentes. Il faut arrêter d’en faire des boucs émissaires !

À défaut de réfléchir à la réforme du marché du travail, vous osez, avec ce projet de loi, demander aux demandeurs d’emploi de se justifier, de faire des efforts, de revoir à la baisse leurs ambitions de travailleurs, la décence de leurs salaires et la dignité de leurs conditions de vie.

Et en leur demandant de s’adapter toujours plus, d’accepter toujours moins, vous vous apprêtez à faire d’eux une sorte d’armée de réserve qui servira de main-d’œuvre d’ajustement à un marché de l’emploi toujours plus flexible et toujours moins sûr !

Telle n’est pas ma conception d’un accompagnement efficace vers l’emploi. Sanctionner, ce n’est pas aider. Sanctionner, c’est faire pression, précariser, exclure l’individu du système ; c’est se donner l’illusion de l’action. Sanctionner, c’est décharger l’État de sa responsabilité vis-à-vis des citoyens, dont il doit élever le niveau de formation et le niveau de vie. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements tendant notamment à la suppression du système de sanction.

Il serait plus juste et bien plus efficace – cela a été dit tant de fois ! – de former les chômeurs, de motiver la création et la répartition des richesses et des emplois, de dynamiser les bassins économiques délabrés.

(M. Paul Blanc. Revoilà les fokon et les yaka !)

Ainsi, l’élargissement géographique que vous préconisez pour la recherche d’emploi va aboutir à des situations ubuesques !

Prenons l’exemple d’un chômeur roubaisien qui s’est vu proposer une offre d’emploi dans le secteur du nettoyage à la gare de Lille, avec une journée de travail commençant à quatre heures du matin. Certes, la distance Lille-Roubaix est inférieure à trente kilomètres. Mais, à cette heure matinale, par quel mode de transport va-t-il s’y rendre ? Il n’a d’autre solution que la voiture. Que fera alors l’ANPE, ou la nouvelle agence X, si cette personne n’a pas les moyens de posséder une voiture, ou même simplement de l’alimenter en carburant ? La sanctionner ? La radier des listes pour refus d’une offre « raisonnable » ?

À quoi bon imposer au demandeur d’emploi un déplacement de trente kilomètres pour un salaire modique, alors que l’ANPE, ou la future entité encore innommée, ne pourra tout simplement pas constituer une liste d’offres raisonnables d’emploi ?

Prenons l’exemple de la métropole lilloise : 30 000 personnes sans emplois, dont 21 000 sont inscrites à l’ANPE, et des entreprises qui ferment chaque jour ! Comment l’ANPE va-t-elle pouvoir détecter un nombre suffisant d’« offres raisonnables d’emploi » dans un tel bassin ?

La question est posée !

Le système français de protection sociale contre la privation involontaire d’emploi a été créé à la fin de l’année 1958. Ce faisant, le général de Gaulle et les partenaires sociaux – ne les oublions pas – ont mis en place un régime fondé sur une logique assurantielle. Ce régime permet de prémunir chaque travailleur contre les incertitudes d’un marché du travail dont chacun est de plus en plus dépendant. Or c’est bien la philosophie assurantielle de tout notre système de protection en matière d’emploi qui est remise en cause par l’esprit de ce projet de loi !

Nous sommes décidés à combattre les sanctions ici prévues, qui visent à sortir un certain nombre de demandeurs d’emploi des statistiques. On se rendra très vite compte que le problème se reposera avec l’aide sociale, nécessaire à ceux qui seront en dehors du système. On aboutira donc à une paupérisation accrue, alors que la société française se doit, aujourd’hui, d’être solidaire.

Vous allez radier, radier et encore radier, et la pauvreté ne fera que s’accroître !

Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, si ce projet de loi est adopté, il condamnera deux millions de nos concitoyens à la précarité. Nous qui luttons pour une société plus solidaire, nous sommes décidés à combattre ce texte !

(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

 

*Interventions sur articles disponibles au lien suivant : http://www.senat.fr/senint/desessard_jean04067m_2007_pjl07-390_1.html