Intervention de Jean Desessard sur les déchets nucléaires

En collaboration avec Marie-Christine Blandin

M. DESESSARD. – Je ne vous parlerai pas du « principe de précaution », il alarme toujours certains d’entre vous qui ne sont pas encore convaincus qu’il s’agit à la fois d’une impérieuse nécessité pour la santé environnementale et d’une opportunité pour la recherche. Je vous parlerai simplement du principe de prévision.

Comment considérerait-on une femme ou un homme d’intérieur qui pousserait sous le lit, jour après jour, le résultat de son balayage ? Quel avenir aurait un éleveur qui laisserait s’accumuler devant sa porcherie des tonnes de lisier ? Et que penserait-on d’ingénieurs qui mettraient en circulation des avions, condensés de technologies de pointes, sans se soucier de leur maintenance ni bâtir des pistes adaptées ?

C’est pourtant ainsi que furent autorisées et construites nos centrales nucléaires : sans solution pour les stockages ni le traitement des déchets !

Dès le début, les associations écologistes, puis les Verts ont alerté la société civile sur les risques d’accidents aux conséquences quasi irrémédiables, risques pour les travailleurs, problème du transport de combustible, dépendance pour la fourniture d’uranium, opacité, liens étroits avec le nucléaire militaire, et bien sûr, héritage funeste des déchets pour les générations futures.

Ceux qui, alors se gaussaient et promettaient pour les mois suivants la « vitrification totale » et, les années suivantes, la « transmutation », sont désormais plus modestes. Les recherches se multiplient, hélas, rien en vue ! Les rapports s’accumulent : le rapport Le Déaut du 21 avril 1992, rapports Bataille de 1990 à 1996. Hélas, hormis quelques préconisations, rien en vue !

La Cour des comptes évoque à présent les risques économiques et financiers : où sont les provisions pour démantèlement et gestion des déchets des principaux opérateurs ? Et que deviendront-elles après l’ouverture du capital des opérateurs ?

Interrogé par une question écrite de Marie-Christine Blandin, vous avez répondu, monsieur le Ministre, dans le Journal officiel du 7 avril 2005, que « cette responsabilité se matérialise dans les comptes par la comptabilisation au passif de ces entreprises (principalement le C.E.A. et E.D.F.) de provisions pour charges nucléaires de long terme ».

En clair, ces opérateurs ne disposent manifestement pas des fonds suffisants pour la gestion des déchets nucléaires !

Pour faire bonne mesure, vous rappelez que ce n’est qu’au dernier trimestre 2004 qu’un groupe de travail réunissant les producteurs de déchets, l’Andra et les administrations concernées a été mis en place. Ce groupe de travail devrait élaborer « un référentiel partagé d’évaluation des charges de traitement des déchets ». Il s’agit certes d’une bonne initiative mais qui risque d’être vaine car le démantèlement et le traitement des déchets pour les 70 ans à venir devraient coûter 63 milliards d’euros, et on ne sait toujours pas combien coûtera l’enfouissement profond des déchets les plus dangereux. Il est donc difficile de chiffrer des prévisions lorsqu’on ne dispose pas de données précises sur le montant à économiser !

Enfin, s’agissant de l’état des recherches, vous précisez que « la définition de la solution technique de gestion pour les déchets radioactifs est liée aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à longue vie encadrés par la loi du 30 décembre 1991 » ! Quel aveu !

Le dernier rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de MM. Bataille et Birraux, publié le 15 mars, prévoit une loi pour 2006, mais sur quelles bases ?

Le contenu du rapport est éloquent : parmi les trois pistes de gestion des déchets, ni la transmutation, ni l’enfouissement géologique, ni la gestion de surface ne sont au point et ne suffiront.

En 1991, on promettait des recherches pour trouver la meilleure solution.

En 2005, on dit de la transmutation qu’il « reste à passer à la phase industrielle », ce qui ne devrait pas se faire avant 2040 ! En ce qui concerne le stockage géologique « il reste des incertitudes à lever sur la faisabilité » et « l’évaluation de la sûreté globale du conditionnement de surface reste à parachever ». Malgré ce constat très mitigé, il est préconisé de poursuivre ces trois pistes de recherche.

Le Graal de la transmutation risque une fois de plus de vampiriser tous nos crédits de recherche en matière d’énergie aux dépens de l’efficience, des procédés économiques et des modes renouvelables de production.

Chaque année s’accumulent 110 mètres cubes de déchets de haute activité à vie longue, 600 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue et 28 000 m3 de déchets de moyenne ou faible activité de vie courte. Chaque année, on produit un kilo de déchets nucléaires par habitant !

Alors qu’Areva pollue les écrans télé par une publicité à la limite de la propagande, alors qu’E.D.F. est devenu le chantre de la lutte contre l’effet de serre depuis qu’il n’a presque plus de centrales thermiques, nous, écologistes, considérons que les déchets nucléaires hypothèquent gravement l’avenir des générations futures. C’est pourquoi nous restons opposés au nucléaire civil et militaire, ainsi qu’à toute mesure d’enfouissement.

La recommandation sept du rapport Bataille qui prévoit « un fonds dédié aux recherches sur les déchets et leur gestion, alimenté par les producteurs de déchets » est bien le moindre des engagements que l’on puisse exiger de ceux qui mettent notre avenir en péril !