Bilan de l’examen au Sénat de la réforme du Code du travail

 

Le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnance des mesures pour le renforcement du dialogue social a été débattu au Sénat du lundi 24 juillet au jeudi 27 juillet, après son adoption en première lecture par l’Assemblée Nationale. L’objectif du Gouvernement, à travers la mise en œuvre de cette réforme, est d’ « engager une rénovation profonde du modèle social, en concertation avec les organisations syndicales et patronales ».

Les autres sénatrices et sénateurs écologistes et moi-même, même privés de groupe parlementaire, avons entendu faire peser notre voix dans le débat. Ainsi nous avons fait  valoir notre sur ce texte que nous considérons comme un recul en matière sociale.

Sur la forme, d’une part, le recours aux ordonnances est largement contestable en ce sens qu’il affaiblit le rôle du  Parlement et manifeste ainsi un certain mépris des représentants du peuple et donc de la démocratie. Nous désapprouvons de la même manière l’insuffisance de la consultation des partenaires sociaux, qui certes  a eu lieu et nous le saluons, mais a été beaucoup trop rapide et unilatérale, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de concertation réunissant tous les partenaires sociaux. C’est pour cette raison que j’ai proposé un amendement de suppression de l’article 1. Ainsi j’ai pris position dans l’hémicycle :  « Vous pouviez annoncer qu’il vous fallait un petit peu de temps […] vous auriez discuté avec les syndicats pendant un an et vous auriez présenté, à la fin, une belle réforme bien préparée. […] vous auriez au moins fait participer les syndicats et les parlementaires ». Par ailleurs, nous avons refusé de favoriser la négociation d’entreprise car « les salariés n’auront pas le choix : pour permettre à l’entreprise de conserver des parts de marché et d’exporter, ils devront adapter leurs horaires et leurs conditions de travail. »

  En ce qui concerne le contenu du texte d’autre part, certains de mes collègues écologistes – Esther Benbassa, Corinne Bouchoux, et Renan Dantec – ainsi que moi-même sommes intervenus pour contester cette prolongation de la loi El Khomri. En effet, celle-ci n’a pas encore été évaluée et nous sommes incapables  d’en démontrer les éventuels effets positifs. En conséquence, rien ne nous permet d’affirmer qu’il est bon de la confirmer et encore moins de la renforcer. Je me suis en ce sens opposé à cet assouplissement des conditions de travail, et ce, sur plusieurs points. « Aujourd’hui, on fait comme s’il n’y avait pas aggravation des conditions de travail dans l’entreprise… Pourtant, c’est le cas, qu’il s’agisse du burn out, des relations avec la hiérarchie, voire de maladies que l’on a du mal à détecter aujourd’hui et que l’on détectera plus tard ».

L’article 2 du projet de loi, prétextant l’efficacité, entend faire fusionner en une seule instance les délégués du personnel, le comité d’entreprise, et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Je me suis fermement opposé à cette idée.  En effet, comme je l’ai exprimé au cours de la séance du 26 juillet, je ne vois pas en quoi une telle fusion va faciliter la résolution des questions de santé des travailleurs :  « Comment ne pas être sceptique quand vous dites qu’une seule structure qui s’intéresse à l’économie de l’entreprise, à la gouvernance, s’occupera mieux des problèmes de santé qu’une structure spécifique qui a l’habitude de traiter ces dossiers et dont les membres sont en relations avec d’autres entreprises pour comparer les conditions de travail, s’interrogent et prennent des informations dans des revues spécialisées et auprès du corps médical pour savoir si telle organisation dans l’entreprise ne va pas créer des problèmes de santé ? » J’ai déploré que le Gouvernement, à travers ce projet de loi, entende faire passer les questions économiques avant la santé des salariés.

J’ai, par ailleurs, déposé un amendement pour m’opposer à la facilitation du recours au Contrat à Durée Déterminée (CDD), dont nous avons toujours dénoncé le caractère précaire car « l’absence de salaire garanti à l’issue du contrat de travail a des conséquences néfastes sur la vie du salarié ». Pour illustrer mon propos, j’ai notamment pris l’exemple éclairant de l’accès au logement, extrêmement difficile lorsque l’on est en CDD, dans la mesure où les propriétaires réclament généralement, en tant que garantie, une personne qui est en Contrat à Durée Indéterminée (CDI). J’ai en outre mis l’accent sur les conséquences psychologiques des contrats courts sur les salariés : « le travail précaire engendre du stress, du mal-être et nuit à la santé des travailleurs »  J’ai conclu en rappelant qu’« en assouplissant trop la possibilité de recourir au contrat court, on affaiblit le CDI, pilier de notre droit du travail, et, avec lui, l’ensemble des chômeurs et des travailleurs précaires. »

J’ai également déposé des amendements sur deux questions, qui, en tant que fervent défenseur des conditions de travail, m’ont toujours tenu à cœur : le travail de nuit ainsi que le travail dominical. En effet, le Gouvernement souhaite faciliter voire normaliser les deux, alors même qu’ils constituent un réel danger pour la santé physique et mentale des travailleurs, ainsi que pour la société. Pour défendre mon amendement demandant la suppression des dispositions facilitant le recours au travail de nuit, j’ai énuméré, en m’appuyant sur des études réalisées par des organismes tels que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ou le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), les nombreuses conséquences potentielles sur les salariés concernés : « des effets avérés sur le sommeil, des effets probables sur la santé psychique, des performances cognitives diminuées, l’obésité, le diabète, les maladies coronariennes, le risque de développer un cancer ». Concernant le travail dominical, j’ai déposé un amendement en vue de la suppression de l’article 7 proposant un ajustement relatif à la législation en matière de travail le dimanche. Je considère – comme le reste des écologistes – le travail dominical comme une réelle régression sociale mais également sociétale, régression dont nous pouvons aisément nous passer puisque travailler le dimanche n’engendre en réalité qu’un décalage du rythme de consommation et n’apporte en ce sens rien de plus sur le plan économique. « Il faut conserver cette pause importante pour la convivialité citoyenne » ai-je martelé.

Enfin j’ai rappelé les enjeux qui entouraient la pénibilité du travail et ses conséquences pour les salariés, déplorant que le Gouvernement agisse suivant les volontés du MEDEF.

En définitive, j’ai activement participé à la discussion de ce projet de loi sur lequel je suis globalement opposé. En ce sens, le jeudi 3 août, lors des conclusions de la Commission Mixte Paritaire, j’ai fait valoir la position des écologistes, déclarant qu’ils « ne voteront pas ce projet de loi, cher au MEDEF, pris par le Gouvernement par ordonnances, au mépris de toute véritable négociation. ». J’ai conclu mon mandat en exprimant le dépit qui est le mien concernant la vision du dialogue social de Madame la Ministre Muriel Pénicaud, qui privilégie l’échelle de l’entreprise, « là où le salarié est le plus faible face à l’employeur tout puissant ».

J’ai profité de ma dernière intervention dans l’hémicycle pour conclure mes quatorze ans de mandat par une note de regret, celui de la relative impuissance parlementaire : « le cadre de travail de notre institution est de haute qualité » mais « l’entonnoir de l’exécutif est extrêmement étroit ; presque toutes les propositions sont écartées. ».