Le mal-être au travail, conséquence de la rentabilité à tout prix

Jean Desessard a participé aux travaux de la Mission « mal-être au travail » du Sénat. En annexe au rapport de la mission, il a souhaité ajouter une contribution personnelle sur le sujet.

Contribution de Jean Desessard, Sénateur Vert de Paris

Je souhaite tout d’abord remercier le Président et le Rapporteur de la Mission d’information pour l’animation dynamique des travaux de la Mission, ainsi que pour la qualité et l’organisation des auditions.

Le rapport dresse un diagnostic complet des causes du mal-être au travail, il soulève notamment la question de l’évolution du taylorisme dans les services, la perte de sens du travail et l’atomisation de l’organisation du travail. C’est pourquoi j’ai approuvé ce rapport et je voudrais dans ces quelques lignes, apporter quelques compléments.

Le taylorisme dans les services

Avec la Révolution industrielle, les ouvriers étaient considérés et utilisés comme des machines, reproduisant le même geste dans un temps chronométré, sous la pression constante des objectifs de production.

Le taylorisme a évolué, très présent dans le secteur industriel, il s’est aujourd’hui étendu dans le secteur des services avec les mêmes symptômes : pression physique et morale, rentabilité à tout prix, négation de la personne, non reconnaissance du travail accompli, mal-être au travail…

Comment se manifeste ce mal-être au travail dans le secteur des services ?

  • La perte de sens du service public

Ces dernières années, la privatisation de grandes entreprises de service public a entrainé un mal-être chez de nombreux salariés.

À France Télécom, les salariés ont vu en très peu de temps leur entreprise évoluer vers la recherche de plus de profits, mais pas pour autant vers plus de services rendus. Les méthodes de management mises en place, ont provoqué un conflit de valeurs chez les salariés attachés de par l’histoire de l’entreprise à la notion de service public, en contradiction avec la recherche du profit immédiat.

Les causes de l’augmentation des arrêts maladie, des tentatives de suicide ou des dépressions sont connues et pointées, notamment par les médecins du travail :

– une très forte pression commerciale et quotidienne exercée sur les salariés avec des objectifs individualisés ;

– un très grand décalage perçu par les salariés entre la communication de l’entreprise et la réalité du quotidien, entre les objectifs fixés et les moyens accordés ;

– des organisations de travail de plus en plus déshumanisées, sans échanges entre les salariés et les usagers, sans échanges entre les salariés entre eux.

Enfin, pour des salariés dont la première mission était de rendre un service universel (le courrier, le téléphone…), il est inconcevable de « faire du chiffre » sans rendre un service efficace aux usagers devenus de simples clients. Aujourd’hui, même les préfets reçoivent des primes au résultat, cela montre bien la dégradation de l’esprit de service public.

  • La segmentation du travail

Par souci de rentabilité, le travail est divisé, segmenté et les salariés n’ont plus la satisfaction d’un travail cohérent et accompli. Ils passent d’une tâche à l’autre sans jamais mener une mission ou un projet jusqu’au bout. Pourtant ce sentiment du travail bien fait est l’un des premiers facteurs de satisfaction professionnelle. Pire encore, les salariés sont souvent en charge d’une seule tâche, répétitive et calibrée, qui ne laisse pas place à l’initiative ou à l’échange avec les clients.

Cette segmentation révèle également la perte de sens du travail collectif, il est en effet difficile de développer l’échange et le travail en commun dans une société individualisée qui fonctionne selon l’adage du « chacun pour soi ».

  • Une organisation du travail à flux tendu

Cette segmentation du travail va de pair avec un phénomène de plus en plus répandu : le travail à flux tendu. Au départ cantonné au monde industriel, ce mode d’organisation est utilisé dans les services, par exemple dans la grande distribution, les centres d’appel ou la restauration rapide. Ce mode de fonctionnement, appelé également gestion « juste-à-temps », consiste à réduire au minimum le temps entre les différentes étapes d’une production ou d’un projet. Cette méthode est un important facteur de stress pour les salariés qui sont sous la pression permanente d’accomplir leur tâche dans un délai limité. Il n’est pas possible pour un salarié d’anticiper son travail, ni de soigner sa tâche puisque les informations et les demandes doivent être immédiatement traitées. En outre, cette vision du « court-terme » n’est pas applicable à de nombreux métiers exigeant de l’expérience. Certains travaux sont le fruit d’un long apprentissage et d’échanges entre les différentes générations, mais l’urgence du « court-terme » rend de plus en plus difficile cette approche.

  • La course à la productivité

Ces méthodes de management sont étroitement liées à l’objectif de productivité des entreprises. Dans une société qui prône toujours plus de productivité au détriment du développement de la personne, faut-il s’étonner que les travailleurs rencontrent de plus en plus de difficultés psychiques?

Les employeurs recherchent des personnes adaptables à l’entreprise et à son organisation, sans prise en compte de leurs qualités humaines. C’est donc l’apport de l’individu qui est nié, des qualités comme l’enthousiasme ou l’esprit d’équipe ne sont pas reconnues. L’individu n’est pas au cœur de la politique de ressources humaines de l’entreprise, mais c’est l’entreprise qui est au cœur du système, et les salariés doivent rentrer dans les profils exigés par l’organisation.

Il y a par ailleurs une augmentation de la charge de travail sans augmentation des effectifs. Ce qui signifie toujours plus de malades pour une infirmière, toujours plus de clients au guichet…Cela se traduit par une dégradation de la qualité du travail et en conséquence, de plus de souffrance au travail.

Pour conclure, j’ai voté ce rapport car j’approuve les recommandations qu’il contient. Il faut cependant considérer le mal-être au travail comme la principale conséquence de l’organisation des entreprises dans un système économique fortement concurrentiel. Tant que l’objectif des entreprises sera d’aligner les conditions de travail sur les pays dont les acquis sociaux sont les plus bas, l’épanouissement des salariés sera une chimère. Le rôle des politiques est de créer les conditions pour que les échanges internationaux soient fondés sur le mieux-disant social et sur donc sur la coopération à l’échelle internationale.