Fin de l’examen de la loi sur les retraites au Sénat

Voici l’intervention de Jean Desessard, le jour du vote du projet de loi portant réforme des retraites au Sénat.

À l’issue de ces trois semaines de débat sur le projet de loi portant réforme des retraites, il me reste le goût amer d’une occasion ratée, et j’en tire la désagréable impression que notre pays, faute de dialogue social, s’engage dans une crise sociale grave.

La discussion du projet de loi susvisé est donc une occasion ratée, car nous allons à contre-sens de l’Histoire.

Monsieur le ministre, vous partez d’un postulat faux ; vous pensez qu’il faut travailler davantage. Pourtant, dans nos sociétés développées, il est possible d’envisager autrement le travail. Grâce au progrès technologique, à l’augmentation de la productivité, la production des biens nécessaires à la société nécessite un travail d’une durée plus limitée qu’auparavant. De fait, c’est la question de la répartition du temps de travail qui est posée, non celle de son augmentation.

Face à la logique du principe « travailler toujours plus », induisant des heures supplémentaires à n’en plus finir, et à l’objectif de travailler toujours plus longtemps conduisant au report de l’âge de la retraite, nous, écologistes, proposons de travailler mieux, de travailler moins, mais de travailler tous.

L’écologie, est une question non pas subsidiaire, mais centrale. La nécessité de limiter les pollutions, de préserver l’air, les sols et les océans, d’économiser les ressources naturelles nous oblige à penser différemment l’activité humaine et les droits qui y sont associés. Nous pouvons, nous devons limiter la production des biens industriels qui ne sont pas indispensables et privilégier les activités de service, de santé et d’échanges. C’est pourquoi votre loi fait fausse route : oublier les contraintes environnementales, c’est s’assurer que votre projet n’a rien de durable.

Monsieur le ministre, votre réforme est inefficace, car les seniors ne trouveront pas plus d’emplois demain qu’aujourd’hui. En effet, le marché du travail dans notre pays est hyper standardisé ; c’est en France que le taux de productivité horaire est le plus élevé, ce qui signifie une recherche du salarié le plus conforme, le plus performant.

Le report de l’âge minimal de départ à la retraite n’a pas de sens lorsque ne sont pas résolues ni même abordées, les difficultés d’insertion des jeunes dans l’emploi et les départs anticipés des seniors.

Les quelques mesures que vous avez prises ne parviendront pas à enrayer ce processus d’exclusion des plus anciens du monde du travail.

Rien n’a été fait pour les jeunes, qu’ils soient étudiants, apprentis, stagiaires ou à la recherche d’emploi.

Votre politique de destruction des services publics dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la petite enfance, de la dépendance est nuisible pour l’emploi et nous entraîne dans un cercle vicieux… Elle a pour conséquence moins d’actifs. Moins d’actifs, c’est moins de cotisations, et donc cela revient à « plomber » encore plus le système par répartition.

Contrairement à ce que vous affirmez, réformer les retraites sans réformer l’emploi, sans résorber le chômage ne permet pas de garantir la pérennité du système par répartition.

Monsieur le ministre, votre réforme n’est pas seulement de courte vue et inefficace ; elle est aussi injuste.

Si certains de nos concitoyens s’épanouissent au travail, la majeure partie des salariés sont soumis à des critères de rentabilité intenables, à un management qui les pressure toujours plus. Pour la plupart d’entre eux, le travail est aliénant.

Monsieur le ministre, pour comprendre la mobilisation sociale contre votre projet, vous devez vous plonger dans la réalité.

Pensez-vous que dans les raffineries, ou sur les chaînes de montage, les ouvriers vont accepter de travailler en 3×8 deux ans de plus ?

Pensez-vous que les couvreurs, les charpentiers, qui grimpent sur les toitures, soient capables de le faire deux ans de plus ?

Pensez-vous que tous ceux qui sont exposés à des substances toxiques ou cancérigènes – ceux qui travaillent dans le secteur du bâtiment, par exemple – puissent continuer à les respirer deux ans de plus ?

Pensez-vous que les caissières de supermarché puissent réellement poursuivre ce travail à temps partiel subi, en horaires décalés, deux ans de plus, monsieur Longuet ?

Pensez-vous que les infirmières débordées, mille fois sollicitées, obligées de pallier le manque de personnel aient envie de continuer à ce rythme effréné deux ans de plus ?

Vous n’avez pas voulu prendre en compte la pénibilité au travail, et les salariés l’ont bien compris.

En revanche, vous avez pris en compte l’incapacité. Ainsi, il faut être usé, avoir perdu une partie de ses facultés pour partir à la retraite plus tôt. Quel aveu !

Il faut donc « être au bout du rouleau » pour bénéficier du repos.

Mais l’aliénation au travail ne se limite pas à la pénibilité ! Elle résulte aussi du développement du harcèlement moral, d’objectifs irréalisables imposés par une hiérarchie, d’une pression constante. Ce sont également des pratiques commerciales douteuses que l’on demande de mettre en œuvre au détriment de la notion de service public… Je fais bien évidemment référence aux drames que connaissent France Telecom et La Poste.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez réveillé la jeunesse, qui s’est mobilisée contre votre réforme.

Bien sûr, ces jeunes ne sont pas en train de compter leurs points de retraite, mais la jeunesse est solidaire, car elle est généreuse. Elle s’interroge sur le monde de demain que nous dessinons aujourd’hui. Elle ne veut plus entendre parler de chômage de longue durée, de stages sous-payés, de précarité.

Pensez-vous que la jeunesse soit insensible aux questions de société, aux inégalités ?

Monsieur le ministre, votre détermination à imposer cette réforme injuste aux salariés va créer une situation explosive, sans pour autant régler les contradictions économiques et échapper à la crise écologique.

Les écologistes voteront contre votre projet de loi. Et le bon sens voudrait que vous abandonniez incessamment cette réforme.

Nous pouvons éviter le pire, si vous vous décidez enfin à prendre en compte les attentes des Français et non les exigences brutales du patronat.

(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)