Source: Sophie Clothilde pour Global et Local, selon les informations recueillies lors du colloque organisé sur ce thème par Marie-Christine Blandin et Jean Desessard au Sénat le 8 novembre 2010
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Partageant 730 km de frontières avec le Brésil et 510 km avec le Surinam, la Guyane est le plus grand département français, largement couvert par une forêt primaire qui recèle plus de 95% de la biodiversité nationale, et récemment protégée par un parc national et 6 réserves naturelles. Mais cette biodiversité exceptionnelle est menacée par l’orpaillage et la biopiraterie, menaces d’autant plus inquiétantes que les zones touchées ne sont pas vides d’hommes, et que ces deux pratiques détériorent profondément les conditions de vie des peuples autochtones.
L’orpaillage illégal
L’or est présent de manière disséminée en Guyane, sous forme de pépites ou de paillettes dans le lit des rivières (or alluvionnaire [1] ). Pour extraire l’or, les orpailleurs illégaux détournent les cours d’eau pour accéder aux alluvions, qu’ils diluent grâce à des jets d’eau à haute pression (lances molitor) avant de les filtrer pour dissocier les boues du métal précieux, en ajoutant du mercure pour amalgamer l’or.
D’un point de vue environnemental, ces pratiques posent de nombreux problèmes : le détournement des cours d’eau et l’érosion provoquée par les jets d’eau à haute pression fragmentent les écosystèmes, et créent des zones turbides qui signent la mort biologique du cours d’eau. L’orpaillage génère également une forte pollution au mercure, du fait de son évaporation lors de la phase de purification de l’or (que les orpailleurs effectuent à l’air libre, avec de simples chalumeaux), et de la libération par les lances à eau du mercure naturellement présent dans les sols guyanais, très volatil en milieu tropical.
Ces dégradations du milieu ont des conséquences dramatiques sur les populations autochtones : les ressources alimentaires tendent à baisser, et du fait de la bio-accumulation [2], les populations sont intoxiquées au mercure, qui provoque des lésions au système nerveux, surtout chez les enfants de moins de 7 ans. A cela s’ajoutent les prédations perpétrées par les « garimpeiros » [3] : baisse des ressources alimentaires liées à la chasse [4] et à la pêche ; vols de matériel agricole ou de denrées dans les abatis [5] ; insécurité liée aux trafics d’alcool, d’armes et à la prostitution forcée qui accompagnent l’établissement des villages d’orpailleurs illégaux. Les sites d’orpaillage augmentent également le risque de paludisme, par la présence des bassins de décantation, favorables à la prolifération des moustiques, et propagent l’endémie par le déplacement de galimperos impaludés.
Les années 2000 à 2008 voient une augmentation exponentielle des sites d’orpaillage illégaux. Le gouvernement met alors en place l’opération « Harpie » pour lutter contre eux. La création du parc naturel a permis de cartographier les zones d’orpaillage, par le biais de missions héliportées, terrestres et fluviales. Ces données sont transmises au préfet, à la gendarmerie et à l’armée, et renforcent l’efficacité de l’opération « Harpie ». Depuis la mise en place de cette opération, le nombre de sites d’orpaillage est en baisse significative. Cependant, cette donnée est à nuancer, car les orpailleurs sont très organisés et se sont adaptés à la lutte. Ils ne créent plus de gros villages, et mettent leurs bassins de décantation et leurs exploitations à couvert, afin d’éviter les repérages par satellites ou hélicoptères. Ils possèdent également des bases logistiques au Surinam et au Brésil, dans lesquelles ils peuvent se procurer tout le matériel nécessaire.
La lutte contre l’orpaillage illégal nécessite une approche globale : ce sont de véritables réseaux à démanteler, en tenant compte des problèmes diplomatiques que cela pourrait occasionner avec le Brésil et le Surinam. Il faut également envisager les problématiques de développement, et réfléchir à la reconversion des garimpeiros, qui cherchent dans l’orpaillage illégal une échappatoire à leur misère.
La biopiraterie
Un autre enjeu majeur en Guyane est la biopiraterie, qui consiste en l’appropriation par des sociétés – principalement agro-alimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques – des savoirs collectifs élaborés génération après génération par les peuples autochtones, en déposant des brevets sur l’utilisation des plantes. Ces pratiques éthiquement douteuses ont de douloureuses conséquences économiques et sociales : la concentration des brevets dans les mains d’entreprises privées limite l’accès par les populations locales aux denrées alimentaires et à la santé, du fait de la hausse des prix qu’elle génère. Celà pose également la question du « bien commun », car la biopiraterie prive les générations futures du patrimoine commun qu’est la nature elle-même.
La question de la biopiraterie pose les limites du droit international en matière de droit intellectuel, car celui-ci est fondamentalement fondé sur le système occidental des brevets, et se révèle particulièrement inadapté pour protéger les peuples autochtones, détenteurs de savoirs ancestraux et collectifs. Les brevets valorisent l’inventivité et la nouveauté, et ne sont pas du tout adaptés aux savoirs traditionnels qui sont sans paternité car collectifs ; ils ne permettent donc pas de préserver la biodiversité et les biens communs de l’humanité.
Un premier pas a été franchi lors du sommet de Nagoya pour résoudre cette contradiction juridique : la convention de Nagoya (article 8J) reconnait le droit des communautés autochtones. Néanmoins, la gestion des écosystèmes par les peuples autochtones n’est pas protégé, car il est considéré comme un mode de vie et non comme un savoir. Dans le protocole de Nagoya, qui est un cadre relativement contraignant, même s’il tient compte de la souveraineté des états et des intérêts économiques [6], les états signataires imposent la notion de « consentement informé des communautés sur l’accès aux ressources et aux connaissances », ce qui oblige les industriels à dialoguer avec les populations locales afin d’obtenir le droit de faire des recherches sur les plantes situées sur leurs territoires, et sur les utilisations – médicinales entre autres – qu’en font les peuples autochtones. Celà implique également que les industriels-chercheurs doivent respecter les règles de diffusion des connaissances en cours dans les communautés. Il y a chez les peuples autochtones des connaissances de « domaine public », accessibles à tous, des connaissances pour lesquelles il faut faire une demande auprès de ces communautés, et des connaissances secrètes, qui se transmettent par initiation. Les chercheurs qui ont accès à ces connaissances se doivent dès lors de respecter le niveau de secret auquel ils ont eu accès. La publication de leurs résultats est donc règlementée par un accord « libre et consenti » entre les communautés autochtones et les chercheurs, qui respecte la confidentialité de certains savoirs.
En outre, le code de conduite éthique [7] élaboré à Nagoya – cadre non contraignant – pose la reconnaissance des terres, des eaux et des sites sacrés : « Les terres et les eaux peu peuplées ne devraient pas être tenues pour désertes, car il peut s’agir de terres et d’eaux traditionnellement occupées ou utilisées par des communautés autochtones et/ou locales ». Elle reconnait également la participation de ces peuples à la gestion des écosystèmes, la propriété intellectuelle individuelle et collective, les stuctures sociales des peuples autochtones, et insiste sur le principe de précaution. Elle met également en avant la nécessité d’un partage des bénéfices entre les industries et les peuples autochtones, par la redistribution d’avantages monétaires ou en nature permettant aux communautés de mettre en valeur leur territoire comme bon leur semble (éducation, valorisation des terres, dépenses de santé…).
Ces points éthiques présents dans les différents textes issus de la conférence de Nagoya constituent une réelle avancée idéologique, mais ne résolvent pas totalement les contradictions présentes dans le système juridique. Les structures de lutte contre la biopiraterie doivent continuer leurs actions, à l’instar du collectif biopiraterie [8], qui depuis 2008 mène des actions juridiques et médiatiques sur ce sujet. Ils ont pour vocation de s’opposer aux dépots de brevets, de sensibiliser le public sur la biopiraterie, de renforcer la législation en France et à l’international, afin de faire émerger un nouveau modèle, en s’appuyant sur la demande croissante de produits bio et éthiques par les consommateurs-citoyens.
Suite à ce colloque, la Sénatrice du Nord Marie-Christine Blandin (EELV) et le sénateur de Paris Jean Desessard (EELV) travailleront sur une proposition de loi permettant de faire progresser la protection des peuples autochtones et de la biodiversité en Guyane.
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Sont intervenus lors du colloque « Guyane : entre diversité et égalité des peuples et des territoires » : Jean DESESSARD, Sénateur de Paris ; Alexis TIOUKA, adjoint au Maire de Awala-Yalimapo, membre du conseil scientifique du parc amazonien ; Corinne ARNOULD, membre du collectif Biopiraterie, fondatrice de l’association « Paroles de nature » ; Jean-Dominique WAHICHE, enseignant en droit du patrimoine naturel au Museum d’histoire naturelle ; Fréderic MORTIER, directeur du parc naturel amazonien ; JP HAVARD, association Solidarité Guyane ; José GAILLOU, Conseiller régional de Guyane ; Marc BARRAT, réalisateur du film « Orpailleurs » ; Jean-Etienne ANTOINETTE, sénateur de Guyane ; Michel DUBOUILLE, responsable des Verts Guyane ; Jean-Claude CARLES (intervention vidéo) ; Marie-Christine BLANDIN, Sénatrice du Nord
[1] On trouve également des gisements d’or primaire (filons de quartz aurifère). Ces gisements sont exploités par des compagnies certes légales – du fait de la complexité de l’extraction (mines à ciel ouvert) – mais qui posent également des problèmes environnementaux (rejets de mercure et de cyanure).
[2] accumulation des toxiques dans les êtres vivants tout au long de la chaine alimentaire
[3] chercheurs d’or clandestins, venus principalement de régions défavorisées du Brésil ou du Surinam
[4] La chasse, outre les dommages qu’elle cause aux espèces protégées, occasionne également une pollution au plomb (cause de saturnisme) par la dissémination dans la nature de nombreuses balles en plomb
[5] Abatis : Zones brûlées puis mises en culture
[6] Et qu’il n’a pas été signé par les Etats-Unis…
[7] Pour en savoir plus sur les accords de Nagoya :http://fr.wikipedia.org/wiki/Conférence_mondiale_sur_la_biodiversité,_de_Nagoya_(2010)
[8] Collectif Biopiraterie : www.biopiraterie.org