Nous examinons aujourd’hui le projet de loi issu de l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, l’ANI. Formation professionnelle, démocratie sociale, inspection du travail : voilà des sujets qui auraient mérité mieux qu’un débat parlementaire précipité.
Le Gouvernement a fait le choix d’engager la procédure accélérée pour l’examen de ce projet de loi. On comprend mal cette volonté d’agir aussi vite, on voit mal où se situe l’urgence. Des délais aussi courts pour l’examen d’un tel texte nuisent grandement à la qualité de nos travaux et témoignent, monsieur le ministre, d’un manque de considération pour les parlementaires.
Les gouvernements se suivent, ne se ressemblent pas, mais il y a une constante : ils utilisent les mêmes méthodes à l’égard du Parlement.
Sur le fond, la première partie du projet de loi, relative à la formation professionnelle, traite d’un sujet central. Le montant élevé de la dépense nationale pour la formation professionnelle et l’apprentissage témoigne de l’importance de ce sujet : 32 milliards d’euros en 2011, soit 1,6 % du PIB, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Les entreprises sont de loin les premiers financeurs – à hauteur de 43 % – et les montants alloués ont progressé de 3,1 % par rapport à 2010. L’État est le deuxième contributeur, avec 15 % de la dépense, malgré une baisse de 1,1 % des crédits alloués. Ensuite viennent les régions, qui assument 14 % de la dépense totale.
Les fonds sont donc là, mais il existe de grandes disparités entre les bénéficiaires. Selon une étude de l’INSEE de 2012, si 51 % des 25-54 ans en emploi ont suivi une formation pour raisons professionnelles dans l’année, seuls 27 % des chômeurs de cette même classe d’âge ont pu bénéficier d’une telle formation.
De grandes disparités existent également au sein même du monde du travail : selon la même étude, dans la catégorie des actifs occupant un emploi, 66 % des diplômés de niveau supérieur à bac+2 ont suivi au moins une formation professionnelle dans l’année, contre 25 % des personnes sans diplôme. Les inégalités sont ainsi très fortes, et la formation professionnelle profite peu ou pas suffisamment à ceux qui en ont le plus besoin.
Que les choses soient claires, la formation doit naturellement profiter à l’ensemble des salariés, y compris aux cadres. Améliorer ses compétences en permanence permet une adaptation aux nouvelles techniques et une transmission du savoir au sein de l’entreprise dont chacun bénéficie. Mais la formation doit aussi être rendue plus accessible aux chômeurs et aux précaires, afin de leur permettre d’apprendre un nouveau métier et de développer des compétences nouvelles.
La formation professionnelle est également – on l’oublie parfois – un moteur de développement personnel et d’épanouissement des individus, un moyen de préparer l’avenir s’accompagnant du plaisir d’apprendre.
Adaptation aux nouvelles technologies, réinsertion et réorientation des chômeurs et précaires, épanouissement : la formation professionnelle recouvre tous ces aspects et il nous faut trouver, ensemble, le juste équilibre.
Je le disais, la formation professionnelle est un outil d’adaptation aux changements de la société qui permet de se former aux nouvelles technologies et aux nouveaux métiers. Dans cette perspective – j’insiste sur ce point, monsieur le ministre, et j’y reviendrai au cours du débat –, il faut concevoir une démarche prospective à l’échelon national, et pas simplement dans les régions, pour identifier les métiers de demain et les techniques qu’ils mobiliseront, afin d’anticiper le changement plutôt que de le subir.
Si l’on doit préparer l’émergence des métiers de demain, il ne faut pas pour autant oublier ceux d’hier. Chaudronniers, ébénistes, tailleurs de pierre : tous ces professionnels se raréfient, alors qu’ils sont demandés. Une politique de formation cohérente doit nécessairement prendre en compte ces métiers et assurer leur pérennité. S’agissant de créneaux étroits, cela nécessite une coopération entre régions.
Par ailleurs, dans notre monde aux ressources de plus en plus limitées, nous devons faire preuve de volontarisme pour orienter nos modes de production vers la proximité, vers l’économie énergétique. Pour cela, nous avons besoin de techniciens compétents dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique des bâtiments, du recyclage des déchets. La formation professionnelle a tout son rôle à jouer dans la transition écologique : elle doit devenir un outil pour accompagner les mutations.
Le compte personnel de formation constitue un premier pas important vers la formation pour tous que nous appelons de nos vœux. Il est directement attaché au salarié, qui le conservera tout au long de sa carrière et en bénéficiera dès son entrée dans le monde du travail, indépendamment de sa situation et de son entreprise. Le détenteur du compte, s’il suit des heures de formation en dehors de son temps de travail, ne sera pas tenu d’en informer son employeur, ni d’obtenir son accord.
Je vous félicite, monsieur le ministre : ce dispositif représente une avancée réelle par rapport au droit individuel à la formation, dont le bénéfice était ouvert aux seuls salariés ayant un an d’ancienneté et subordonné à l’accord de l’employeur et dont la portabilité entre deux emplois posait parfois problème.
Néanmoins, le volume horaire du CPF reste faible : 150 heures sur sept ans et demi. Cette durée peut-elle vraiment permettre à un individu de suivre une formation qualifiante en vue de se réorienter en cours de carrière ?
En particulier, ce faible volume horaire est encore loin de permettre à des personnes éloignées de l’emploi de repartir sur de nouvelles bases. De fait, le CPF, comme aujourd’hui le DIF, risque d’être utile principalement aux salariés déjà qualifiés qui ont besoin d’une mise à niveau sur une nouvelle technologie, plutôt qu’aux personnes qui en auraient le plus besoin : les chômeurs, les précaires, les seniors…
Monsieur le ministre, l’augmentation de 600 millions à 900 millions d’euros des fonds consacrés aux demandeurs d’emploi est-elle suffisante ? Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Malgré ces insuffisances, qu’il nous reviendra de combler, nous tenons, nous écologistes, à saluer la mise en place du CPF. Nous considérons cette réforme comme une première étape majeure vers un droit universel à la formation tout au long de la vie.
En ce qui concerne la démocratie sociale, le projet de loi réforme la représentativité des organisations syndicales et patronales, ainsi que leur financement.
Nous nous réjouissons que l’Assemblée nationale ait inclus dans le dispositif du projet de loi les acteurs dits du « hors champ ». Au demeurant, cette appellation est trompeuse, car les acteurs en question ne sont absolument pas marginaux. Économie sociale et solidaire, agriculture, professions libérales : telles sont les activités du « hors champ », qui représente un tiers de l’activité économique et des emplois en France.
Concernant la transparence des comptes des comités d’entreprise, l’obligation d’établissement et de certification des comptes, en fonction de seuils fixés selon la taille du comité, est une mesure équilibrée permettant un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds.
À cet égard, monsieur le ministre, je constate que vous avez tenu l’engagement que vous aviez pris, en octobre dernier, devant notre assemblée, lors de l’examen de la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise présentée par Mme Procaccia : en effet, vous nous aviez alors assuré que les dispositions de cette proposition de loi seraient reprises dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
J’arrive maintenant, monsieur le ministre, à la question qui fâche : la réforme de l’inspection du travail, à laquelle nous sommes fortement opposés.
Sur la forme, tout d’abord, on comprend mal la nécessité de faire figurer un chapitre sur l’inspection du travail dans un projet de loi traitant de la formation professionnelle.
Il s’agit clairement d’un cavalier législatif !
Cette réforme verticale, imposée, est très mal vécue par les inspecteurs du travail, qui craignent une remise en cause de leur indépendance.
Cette indépendance est pourtant consacrée par l’article 6 de la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail sur l’inspection du travail. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous donner lecture de cet article, au cas où vous ne l’auriez pas consulté.
« Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue. »
Mais le projet de loi prévoit une refonte de la hiérarchie au sein de l’inspection du travail, avec la création d’unités de contrôle, régionales et locales, dans lesquelles des « responsables d’unité de contrôle », des RUC, choisis parmi les inspecteurs, auront carte blanche pour imposer leurs méthodes aux autres agents.
Monsieur le ministre, les inspecteurs du travail ont-ils donc démérité, pour qu’on veuille ainsi les encadrer ? En quoi n’ont-ils pas rempli leurs missions ? Nous en apprendrons certainement davantage au cours de ce débat…
Nous pouvons aussi craindre que la création d’environ 200 postes de responsable ne conduise fatalement à une diminution sensible des effectifs présents sur le terrain, au détriment du respect de la réglementation sociale.
En outre, la possibilité donnée aux directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de prononcer des sanctions administratives nous pose problème, dans la mesure où les DIRECCTE sont également chargées de la lutte contre le chômage. Dès lors, que se passera-t-il le jour où une entreprise d’un secteur jugé stratégique ne respectera pas le droit du travail ? Les sanctions lui seront-elles appliquées de la même manière qu’à une autre ? On peut se poser la question.
Aussi bien sur le fond que sur la forme, nous nous opposons à cette réforme hâtive et dangereuse, qui remet en cause l’indépendance de l’inspection du travail. Nous appelons de nos vœux son report, ainsi qu’un dialogue social apaisé au sein de cette administration, qui permette de déboucher sur des solutions consensuelles et acceptées par les intéressés.
En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre jugement sur le projet de loi est donc mitigé : si nous nous réjouissons de la mise en place du compte personnel de formation, l’article 20, relatif à l’inspection du travail, ne nous donne pas satisfaction. Dans ces conditions, le groupe écologiste ne peut être favorable au projet de loi dans sa rédaction actuelle.
Retrouvez ici le compte rendu intégral des débats.