Nous n’irons pas à Versailles – Tribune dans Libération 19 juin 2009

Par Martine Billard, Marie-Christine Blandin, Alima Boumediene-Thiery, Yves Cochet, Jean Desessard, Noël Mamère, Jacques Muller, François de Rugy et Dominique Voynet. Députés et Sénateurs Verts.

Le président de la République nous fait savoir par voie de presse qu’il va s’exprimer devant le Parlement. Cette possibilité inédite est issue de la réforme constitutionnelle votée il y a un an et à laquelle les Verts s’étaient opposés.

La France cumule les inconvénients du régime présidentiel sans les avantages des contre-pouvoirs du Parlement. C’est un peu : « Cause toujours, tu m’intéresses, mais c’est moi qui décide. » La France, n’a plus de Premier ministre, elle doit se contenter d’un Parlement croupion dont le droit d’amendement vient d’être supprimé d’un trait de plume.

Alors que deux semaines par mois devaient être consacrées au contrôle de l’action du gouvernement et aux initiatives des parlementaires, le gouvernement surcharge l’agenda d’une pluie de textes redondants et mal préparés, dont la plupart tiennent plus de l’affichage que de la réelle prise en compte des besoins des Français. Les sessions extraordinaires et les séances supplémentaires sont devenues la règle. Ainsi réquisitionnés, les parlementaires ne sont plus en mesure d’assurer leur travail législatif, que ce soit en circonscription et dans leur département ou dans les deux assemblées où ils doivent assumer simultanément séances publiques et réunions de commissions.

Une communication chassant l’autre, le texte définitif du Grenelle n’est qu’une pâle copie de l’original qui fait encore une place de choix aux lobbies. En revanche, c’est en catimini, qu’un soir au Sénat, fut votée la fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires… Bien après la nomination de François Pérol à la tête du groupe, au mépris de la Commission de déontologie. Prendre davantage en compte l’avis des parlementaires était un autre objectif annoncé : dans les faits, les textes arrivent en cascade et trop souvent en urgence, débattus une seule fois dans chaque chambre, afin de passer en force quand les parlementaires résistent. Ainsi de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » quand la ministre Roselyne Bachelot a obtenu du Sénat la suppression de l’Agence de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, sans que les députés ne puissent se prononcer sur cette proposition.

Le cynisme et l’urgence sont devenus un mode de gouvernement. En France, lorsqu’une loi, comme Hadopi, est rejetée par les députés, condamnée par le Parlement européen et censurée par le Conseil constitutionnel, le Président s’assoit sur les institutions pour faire passer son projet et porte atteinte à la séparation des pouvoirs, principe fondamental du droit français. L’examen en séance publique du texte sorti des commissions est un leurre qui masque un grand appauvrissement des pouvoirs de l’opposition, de la transparence et de l’autonomie du Parlement : en effet, les ministres « campent » désormais dans les commissions, par le truchement de leurs équipes qui font le siège dans les couloirs pour faire pression sur leurs parlementaires. On masque au peuple la façon dont se fait la loi et on parsème d’embûches la légitimité d’expression de chacun de ses représentants.

Voilà, au quotidien, la réalité de la réforme constitutionnelle qui accompagne la précipitation et l’omniprésence du Président et de son docile gouvernement. Il fait passer le renflouement des banques et l’archaïsme des grands patrons de l’industrie automobile avant la sauvegarde des paysans ; ses errances sur le nucléaire avant la sauvegarde de la planète ; la fouille des cartables avant la lutte contre la pauvreté… Le Président et ses barons nous annoncent déjà leurs prochaines initiatives antisociales : casse de la branche maladie de la Sécurité sociale au profit des assurances complémentaires, ballons d’essais sur la retraite à 67 ans… Le tout, faussement maquillé par de fallacieuses promesses de « croissance verte ».

Et vous voudriez que nous approuvions cette démocratie atrophiée, asphyxiée, anémiée, qui charrie l’abstention, la dépolitisation et relègue les classes populaires dans l’exclusion ? Pour protester contre la dérive antiparlementaire qui caractérise la pratique sarkozyste des institutions, nous boycotterons le discours de Versailles. Le Parlement n’est pas une cour.