Intervention sur l’amélioration de la justice fiscale

Dans sa séance du 28 avril, le Sénat a examiné une proposition de loi visant à améliorer la justice fiscale. Voici le verbatim de l’intervention de Jean Desessard.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, dans la mesure où je pressens que l’article 3 ne sera pas adopté, je souhaite expliquer mon vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

C’est la crise… Les salariés sont affectés par le chômage et la hausse des prix, les petites entreprises pâtissent de l’atonie de l’économie et l’État connaît une situation budgétaire dramatique. Pour autant, l’année 2010 n’a pas été morose pour tout le monde. Les entreprises du CAC 40 affichent un bénéfice cumulé de 82,5 milliards d’euros, proche du record historique de 2007.

On pourrait donc imaginer que ces grandes banques et industries ont à cœur de participer à l’effort national par une contribution à la hauteur de leur prospérité. Quelle naïveté ! Le Conseil des prélèvements obligatoires relève qu’elles sont imposées à hauteur de 8 % ! Total, que l’on a évoqué à maintes reprises au cours de cette discussion, ne ferait, nous dit-on, aucun bénéfice en France : cela demande à être vérifié ! Total, première entreprise française, qui a réalisé 10 milliards d’euros de profits en 2010 grâce à la hausse du prix du brut, ne paie pas un euro d’impôt sur les sociétés en France !

M. Roland Courteau. C’est bizarre !

M. Jean Desessard. Dans le même temps, on ne cesse d’entendre le patronat se lamenter de la pression fiscale française… Où est l’erreur ?

La présente proposition de loi, très modérée, vise à réintroduire dans la fiscalité un grain de bon sens. Elle permet simplement de rétablir un peu de justice et de réalisme dans la répartition de la richesse nationale, en obligeant les très grands groupes à ne pas payer moins d’impôt que les PME et en incitant les entreprises à investir plutôt qu’à rémunérer trop généreusement les actionnaires.

Comment peut-on sérieusement s’y opposer dans le contexte social actuel ? Considère-t-on que Total, qui fleurit sur la crise environnementale, que la BNP, qui spécule dans les paradis fiscaux, ou que France Télécom, qui harcèle son personnel, méritent véritablement de payer en France moins d’impôts qu’un artisan ?

Tout cela est si peu raisonnable que les dirigeants de la majorité eux-mêmes en conviennent publiquement : « Je veux que les entreprises qui investissent et qui créent des emplois paient moins d’impôts sur les bénéfices que celles qui désinvestissent et qui délocalisent. » C’est ainsi que Nicolas Sarkozy s’adressait à la « France qui souffre », en 2006.

M. Roland Courteau. Il y a bien longtemps !

M. Jean Desessard. « Je ne trouve pas très sain qu’il y ait un tel écart entre le taux facial d’imposition sur les bénéfices et le taux réel. » déclarait Mme Lagarde au journal Les Echos, au mois de mars 2010. M. Baroin, enfin, évoquait fort astucieusement, en décembre dernier, un « impôt de chagrin ».

Pourquoi la majorité d’aujourd’hui ne veut-elle pas mettre en œuvre les propositions de campagne de M. Sarkozy ?

M. Roland Courteau. Bonne question !

M. Jean Desessard. Pourquoi nous faudrait-il nous résigner à guetter pendant deux ou trois ans l’hypothétique toilettage des niches fiscales, évasivement promis par Mme Lagarde, plutôt que d’agir maintenant ?

La réponse est à chercher dans l’archaïsme du discours idéologique de la droite libérale, laquelle n’a jamais admis sa responsabilité intellectuelle dans la crise financière qui a secoué le monde et se trouve aujourd’hui engoncée dans une posture en complet décalage avec la réalité.

M. Jacky Le Menn. C’est exact !

M. Jean Desessard. Dans les couloirs, pourtant, certains parlementaires de la majorité considèrent que cette proposition de loi est pertinente et raisonnable. Mais la droite est aujourd’hui soumise à une chape de plomb idéologique et aux rodomontades d’un Président de la République aux abois, qui joue la fuite en avant avec des propositions mal étudiées et incohérentes, comme cette surprenante prime de 1 000 euros !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacky Le Menn. Voilà !

M. Jean Desessard. N’attendons pas, encore et toujours ! Plutôt que de repousser à demain ce que l’on peut faire le jour même, parce que la situation économique et sociale appelle davantage de responsabilité et de solidarité, les sénatrices et les sénateurs écologistes voteront pour cette proposition de loi.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)