Intervention de Jean Desessard en séance sur la proposition de loi relative au choix libre et éclairé d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne – 13 février 2014

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues – je salue également les personnes présentes dans les tribunes, parmi lesquelles l’un de nos collègues –, la commission des affaires sociales ne s’est pas prononcée sur le texte ; par conséquent, en tant que rapporteur, je ne pourrai pas vous indiquer quelle est sa position.

En effet, elle a décidé, sur la proposition de Jean-Pierre Godefroy, de déposer une motion tendant au renvoi de cette proposition de loi en commission.

Ce choix a été fait afin d’approfondir l’analyse des différentes propositions émanant de l’ensemble des groupes politiques. Ainsi, nous pourrons également tenir compte de l’avis rendu en février 2013 sur certaines d’entre elles par le Conseil d’État, à la demande de M. le président du Sénat. Nous espérons que les auteurs de ces propositions de loi nous feront part des remarques formulées par la haute juridiction administrative.

La proposition de loi du groupe écologiste s’inscrit dans la continuité d’un débat déjà dense. Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, au cours des dernières années, de nous pencher sur la question de la fin de vie.

Ce texte ne prétend d’ailleurs en aucun cas se substituer au travail approfondi déjà mené par nos collègues. Il permet cependant de prolonger le débat parlementaire dans l’attente du projet de loi annoncé par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier.

En effet, depuis l’adoption de la loi Leonetti de 2005, … Nous vous le confirmons, cher collègue, et nous allons même analyser les raisons pour lesquelles elle n’est pas appliquée – précisément parce qu’il lui manque un petit quelque chose, qui se trouve dans cette proposition de loi.

Je disais donc que, depuis l’adoption de la loi Leonetti, chaque occasion de débattre a permis de faire progresser la réflexion collective au-delà des points de vue également respectables des partisans et des opposants de l’euthanasie. La création de l’Observatoire national de la fin de vie, en 2010, a posé les prémices d’une étude scientifique et objective de la situation dans laquelle on meurt en France, ce qui permet d’espérer dépasser les analyses partielles ou partisanes.

Le troisième rapport annuel de cet observatoire, remis en janvier dernier à la ministre de la santé, dresse ainsi un portrait de la fin de vie des personnes âgées dans notre pays au travers de sept parcours ordinaires, ce qui est original.

Surtout, conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République a, depuis juillet 2012, engagé un débat public sur la fin de vie. À sa demande, une commission présidée par le professeur Didier Sicard a été constituée, afin d’étudier la fin de vie en France. Cette commission a remis le 18 décembre 2012 son rapport intitulé Penser solidairement la fin de vie.

Le Comité consultatif national d’éthique a par ailleurs été saisi d’une demande d’avis sur la question suivante : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir. » Cet avis a été rendu le 13 juin dernier. Le CCNE formule plusieurs remarques, mais il considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n’est pas close et qu’elle doit se poursuivre sous la forme d’un débat public.

Le CCNE précise également que, le Président de la République ayant mentionné dans sa saisine la présentation prochaine d’un projet de loi sur ces sujets, ce débat public devait, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique, comporter des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis pour représenter la société dans sa diversité. »

Conformément à la mission qui lui a été confiée par le législateur dans le cadre de la loi sur la bioéthique, le CCNE a donc organisé une conférence des citoyens et remettra un rapport, sans doute en mars prochain, préalable au dépôt d’un projet de loi. La conférence des citoyens sur la fin de vie a pour sa part remis un « avis citoyen » le 14 décembre dernier.

Nous disposons donc de plusieurs rapports et avis d’instances publiques collégiales ou de citoyens choisis pour représenter la diversité de la société française et amenés à débattre.

De ces différentes prises de position, il se dégage des points de consensus particulièrement intéressants. Tous les intervenants – j’y insiste particulièrement – dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France, et tous considèrent que la sédation dite « profonde » ou « terminale » doit être possible à la demande des malades en fin de vie. Beaucoup s’interrogent sur l’intérêt d’une procédure d’assistance au suicide, comme elle existe dans l’État de l’Oregon. Il n’y a cependant aucun consensus sur l’euthanasie, définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.

S’agissant tout d’abord des conditions de fin de vie dans notre pays, le constat dressé est sévère, au point que le professeur Sicard parle d’un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette « bonne mort » qu’est étymologiquement l’euthanasie.

Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? L’Observatoire de la fin de vie a mené des études sur cette question. La réponse majoritaire est que l’on souhaite mourir chez soi, entouré et apaisé. Cela peut paraître une évidence. Toutefois, en France, on meurt en EHPAD, c’est-à-dire dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou à l’hôpital, sans prise en charge palliative, dans 80 % des cas, quand ce n’est pas, trop souvent, seul, sur un brancard, dans un service d’urgence.

Toutes les personnes que j’ai auditionnées réfléchissent depuis plusieurs années aux enjeux liés à la fin de vie. Toutes voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d’un refus collectif de penser la mort et de l’admettre comme intrinsèquement liée à la vie.

Trop souvent, la mort est vécue comme un échec médical ou comme l’effet d’un manque de chance. Dans cet esprit, si l’on meurt, c’est que l’on n’a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement ! Cette vision technique de l’existence se combine avec une certaine forme d’utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives, parce qu’elles sont âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.

Cette situation de développement d’institutions médico-sociales et médicales, où sont placées, parfois à l’encontre de leurs souhaits, les personnes en fin de vie est une spécificité française. En Allemagne – un pays qui nous sert d’exemple dans d’autres domaines… – la mort à domicile est la règle. Bien sûr, en la matière, il n’existe aucun pays modèle. Toutefois, il faut nécessairement nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit, malgré des investissements importants et le dévouement des personnels, à ne pas respecter la volonté des personnes de vivre leur fin de vie chez elles.

Le premier enjeu, madame la ministre, est donc est de permettre le plus possible aux personnes en fin de vie de rester à domicile, accompagnées par des aidants. Un tel système a été mis en place en Suède et se révèle moins coûteux que la prise en charge en établissement. Il est à noter que la Suède a également établi une distinction entre les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux, qui fournissent autant que possible un réconfort émotionnel.

Le second enjeu est la prise en charge de la douleur, notamment dans le cadre des soins palliatifs. Incontestablement, et nous ne pouvons que nous en réjouir, de très importants progrès ont été accomplis dans ce domaine. La qualité du travail des équipes de soins palliatifs est très impressionnante, nul ne peut le contester. Toutefois, les progrès restent insuffisants, car il semblerait que seules 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins, malgré les plans successifs et l’action volontariste des différents gouvernements.

De plus, contre la volonté des équipes palliatives, leur intervention n’est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie. Le calcul est pour le moins aléatoire, puisque, la médecine n’étant pas une science exacte, on ne peut savoir exactement quand surviendra le décès. Néanmoins, cette approche renforce l’idée que la médecine palliative est une médecine de la mort. En fait, c’est une médecine de l’accompagnement, du soulagement de la douleur et de l’écoute, qui peut certes aller jusqu’au terme de la vie, mais qui est utile dès le début de la prise en charge des maladies engageant le pronostic vital.

Je dois rappeler que les futurs médecins, madame la ministre, ne reçoivent qu’une heure de formation par an aux soins palliatifs. On est donc bien loin d’avoir intégré une dimension palliative à l’ensemble des prises en charge.

Si tous les malades pouvaient avoir accès aux soins palliatifs, les images de souffrances qui sont associées aux derniers moments de certains malades, notamment atteints du cancer, cesseraient de marquer de manière indélébile les familles. Toute expérience d’une mort douloureuse renforce l’idée qu’il faut mettre en place le moyen d’obtenir une mort douce et rapide.

Il faut donc être clair : la proposition de loi du groupe écologiste, pas plus que celles qui l’ont précédée, n’entend proposer l’assistance médicalisée pour mourir comme une solution de substitution aux soins palliatifs. Au contraire, ce texte réaffirme le droit d’accès à ces soins, un droit qui devrait déjà être effectif depuis la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs.

De même, il est incontestable qu’un certain nombre de choix sociaux, donc financiers, concernant la fin de vie doivent être réévalués parallèlement à l’ouverture de la possibilité d’une aide médicalisée pour mourir, voire avant, faute de quoi le sens de ce nouveau droit s’en trouvera affaibli.

Concrètement, le séjour en EHPAD coûte jusqu’à 2 000 euros par mois à la charge de la personne ou de sa famille. S’il existe une assistance médicalisée pour mourir, certains craignent que l’euthanasie ne soit choisie en raison du coût de ce séjour, ce qui serait bien sûr inacceptable.

À l’inverse, pour poser la question de l’assistance médicalisée pour mourir, faut-il attendre que les soins palliatifs aient atteint un développement complet et que notre politique de prise en charge du vieillissement ait été entièrement refondue ? Faut-il empêcher toute évolution de la loi tant que les droits déjà inscrits ne seront pas effectifs ?

Que faut-il faire face à une demande d’euthanasie ? Personne n’envisage aujourd’hui d’ignorer une telle demande. Certaines des personnes que nous avons entendues lors des auditions considèrent qu’il s’agit dans tous les cas d’un appel à l’aide physique ou, plus profondément peut-être, psychologique, qu’il est de notre devoir de reconnaître comme tel.

On ne peut abdiquer devant le désir de mort des personnes, puisque 90 % des personnes qui ont été ranimées après une tentative de suicide ne commettent pas de nouvelle tentative. Toutefois, faut-il pour autant en conclure qu’une personne saine d’esprit ne peut en aucun cas vouloir mourir ? Il ne peut y avoir qu’une analyse au cas par cas, et il faut donner aux personnes la liberté de choisir.

La présente proposition de loi prévoit que la capacité d’une personne à exprimer sa volonté soit évaluée par deux médecins indépendants. Si la lucidité de la personne qui demande à mourir est reconnue et que ce choix n’est pas la conséquence d’un défaut de prise en charge, au nom de quel droit cette demande ne serait-elle pas satisfaite ?

À ceux qui expriment la crainte que la possibilité d’une mort assistée n’en fasse la mort socialement souhaitable qui serait imposée un jour aux plus faibles – ce sentiment a été formulé par certaines des personnes entendues au cours des auditions –, j’objecterai que, en Belgique et aux Pays-Bas, les cas d’euthanasie n’augmentent pas d’année en année.

L’une des possibilités pour aider à mourir les personnes en fin de vie qui le désirent est de leur donner les moyens de se suicider. Il s’agit là d’une aide au suicide, ce qui suppose que la personne peut toujours changer d’avis, et non d’un suicide assisté, comme en Suisse, où la décision revêt un caractère définitif. Cette possibilité existe aux États-Unis, dans l’État de l’Oregon et, plus récemment, dans l’État de Washington.

Seule la moitié des personnes remplissant les critères d’obtention du poison le demandent et, parmi celles qui l’obtiennent, moins de la moitié en font usage. Cette solution apparaît au professeur Sicard comme une possibilité à étudier. Reste à savoir si les modalités de l’aide au suicide retenues dans ces États sont transposables en France. Surtout, ce dispositif ne concerne que les personnes physiquement capables de prendre elles-mêmes la substance. Je rappelle d’ailleurs que la présente proposition de loi n’aborde pas cette question de l’aide au suicide.

Comme l’a rappelé notre collègue Corinne Bouchoux, la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », permet de laisser des directives anticipées sur la manière dont on souhaite que se termine sa vie si l’on n’est plus capable de s’exprimer le moment venu. Ces directives doivent être régulièrement actualisées et conservées. On pourrait, par exemple, les inscrire dans le dossier médical personnalisé à la suite d’un entretien avec le médecin traitant, ou sur la carte Vitale.

Surtout, il me semble que ces directives doivent être respectées. Elles ne sont à l’heure actuelle considérées que comme des souhaits. Les médecins de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs désirent que les directives ne deviennent pas opposables, donc que l’on puisse y déroger si on le justifie par écrit. La conférence des citoyens réclame pour sa part l’opposabilité, c’est-à-dire l’application stricte.

Reste le cas des personnes qui n’auront pas laissé de directives anticipées et se trouveront dans l’incapacité de s’exprimer sur la manière dont elles entendent terminer leur vie. Pour ces personnes, la loi Leonetti propose déjà une solution en interdisant dans son article 1er « l’obstination déraisonnable », ce que l’on nomme couramment « l’acharnement thérapeutique ». Nous suivons avec intérêt la procédure en cours devant le Conseil d’État sur l’affaire Vincent Lambert. La décision rendue est en effet de nature à transformer la manière dont est définie l’obstination déraisonnable.

L’ensemble des personnes auditionnées m’ont indiqué que les dispositions de la loi Leonetti sont peu connues des soignants, huit ans après son vote. Le professeur Sicard considère que cette situation est sans doute liée à l’origine parlementaire du texte, qui n’a pas bénéficié du plein appui des administrations.

Pour ma part, je considère que c’est non pas l’inertie de l’administration qui est en cause, mais le refus du législateur de passer à l’acte. En effet, la législation actuelle entretient le flou, car l’aide médicalisée à la fin de vie n’est pas assumée légalement, ce qui nuit à la publicité des dispositions de la loi Leonetti.

C’est pourquoi, mes chers collègues, pour faire connaître ces dispositions, il faudra, à terme, voter la présente proposition de loi. Il est temps pour nous de prendre position et de passer à l’acte !

Le malade en fin de vie, s’il est en mesure de s’exprimer, peut demander la fin des traitements qui le maintiennent en vie. Dans plusieurs cas, comme celui des patients sous dialyse ou sous assistance respiratoire, cela entraînera la mort à brève échéance. Dans d’autres cas, comme celui des patients en coma végétatif, l’absence de traitement ne changera que peu l’état de santé du malade. C’est la fin de la nutrition et, surtout, celle de l’hydratation qui entraîneront le décès.

L’augmentation progressive des traitements antidouleur jusqu’au point de donner la mort est déjà possible dans le cadre de la loi Leonetti. Néanmoins, la sédation profonde ou terminale n’est pas possible à la demande du patient. Sur ce point, dans l’ensemble des rapports qui ont été remis, une évolution de la loi est préconisée ou admise : on respecterait la volonté de la personne, sans pour autant donner une mort immédiate.

Mais, dès lors qu’on accepte de faire advenir le décès, pourquoi refuser que celui-ci soit immédiat, par un acte volontaire ? L’argument que j’ai le plus souvent entendu serait la violence de l’acte pour les familles et les personnels chargés de l’injection létale. Pour ces derniers, donner la mort signifierait de surcroît la perte d’un repère fondateur de leur mission de soignants.

Il m’apparaît cependant que la position des professionnels de santé varie considérablement d’un pays à l’autre. Au Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Collège des médecins du Québec ont sollicité le passage d’une loi sur l’aide médicale à mourir.

L’essentiel est, me semble-t-il, d’admettre une clause de conscience pour l’ensemble des professionnels, sur le modèle de ce qui est prévu pour l’avortement. Cela figure, si je me souviens bien, dans la proposition de loi.

Si la volonté de la personne est claire et libre de toute influence, les professionnels de santé qui sont prêts à le faire devraient pouvoir lui procurer l’assistance qu’elle souhaite pour une mort immédiate et sans douleur.

Reste le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie mais se trouvent réduites à une situation physique qu’elles jugent intolérables. Le seul point de vue qui me paraît fondamental est celui du malade lui-même, qui est, à mes yeux, l’unique personne capable de juger de la dignité de sa vie. La proposition de loi dispose que, dans certains cas précis, ces personnes peuvent également bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.

La situation de fin de vie est complexe et soulève de nombreuses questions. Néanmoins, le débat est aujourd’hui bien engagé au sein de la société et le législateur se doit d’apporter une réponse. Les personnes auditionnées, dans leur très grande majorité, m’ont indiqué qu’il fallait faire évoluer la loi. J’estime que, dans la proposition de loi soumise à notre examen, le sujet est abordé avec lucidité et franchise, mais avec un cadre d’application strict. Je me félicite donc de l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de débattre de cette question.

Le renvoi à la commission n’est pas un rejet de cette proposition de loi ; il marque la volonté de construire ensemble un texte clair, qui corresponde à la situation et aux interrogations d’aujourd’hui.

Je souhaite que ce débat ait lieu avec toutes et tous et que, en tout état de cause, nous adoptions un texte de loi avant la fin de l’année 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)