Discours de Jean Desessard sur le Projet de loi relatif au développement des territoires ruraux

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Messieurs les Rapporteurs,

Mes Chers Collègues,

Le monde rural vit, depuis une dizaine d’années une véritable contradiction : alors que les campagnes s’urbanisent et se repeuplent dans les communes proches des grandes agglomérations et de certaines villes moyennes, 40% des cantons subissent un exode rural. Face à ces profondes mutations de la ruralité, les élus et acteurs associatifs et économiques du monde rural étaient en droit d’attendre un projet de loi qui s’efforcerait de redynamiser, de revitaliser les territoires ruraux, le tout dans un esprit de préservation de l’environnement et de développement durable.

Certes, le texte qui nous est aujourd’hui soumis s’est fixé comme objectif de couvrir de nombreuses problématiques telles que le développement économique de l’espace rural, le partage des espaces périurbains, l’aménagement foncier dans les zones rurales, l’accès aux services publics, le logement, l’emploi, le maintien ou l’installation des professionnels de santé en milieu rural ainsi des questions concernant plus directement l’environnement (je pense ici aux volets sur les espaces sensibles, la chasse et la montagne).

Malgré les bonnes intentions et les ambitions affichées, ce projet de loi est malheureusement hétéroclite, et sans stratégie globale de développement du monde rural.

Certes, il faut bien reconnaître quelques avancées telles que les Sociétés d’Investissement pour le Développement Rural (SIDER), la suppression de la taxe sur le foncier non bâti pour les espaces naturels ou encore les mesures concernant les saisonniers. Néanmoins, ce projet de loi est un texte de saupoudrage, sectoriel et surtout lacunaire puisque rien n’est prévu concrètement pour améliorer le quotidien des habitants des territoires ruraux en matière d’éducation, de transports, ou encore de soutien à la vie associative.

En outre, toute la seconde partie du texte constitue une attaque en règle contre l’environnement, la biodiversité et le développement durable. Ainsi, et ce n’est qu’un exemple, il élargit, dans son article 64, la possibilité de création d’unités touristiques nouvelles en montagne dans les communes qui ne sont pas couvertes par un schéma de cohérence territoriale. Ce faisant, la loi Montagne de 1985 s’érode peu à peu. Alors qu’elle devait garantir un « équilibre entre les aménagements touristiques, l’urbanisation, les activités agricoles et la protection de la nature , il semblerait que les intérêts particuliers d’élus et de promoteurs aient primé sur l’intérêt général et le développement durable, pourtant affiché comme l’une des priorités du chef de l’Etat.

De même, ce texte est corporatiste et, en particulier, favorise largement les chasseurs, à tel point que l’on peut affirmer qu’il est la cinquième loi chasse depuis 10 ans ! Et le gouvernement ne boude pas son plaisir puisque tout y passe : les espèces protégées, l’obligation d’adhérer à une société de chasse pour tout propriétaire terrien, même non chasseur, l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage offert aux chasseurs, la chasse aux gluaux légalisée de même que le braconnage des pigeons ramiers ardéchois, la chasse en automobile autorisée… Le gouvernement a même l’audace de lier chasse et développement durable des territoires ruraux !

D’autre part, je me dois de souligner le caractère anti-constitutionnel de ce projet de loi qui est contraire à de nombreux textes internationaux. Ainsi, il contrevient tout d’abord à la Convention de Berne qui interdit la chasse aux gluaux et protège les grands prédateurs (le loup, l’ours et le lynx) que ce texte cherche à éradiquer de notre territoire dans son article 65 bis AC.

Je tiens d’ailleurs à ajouter ici, entre parenthèses, que jeudi dernier, le ministre de l’Ecologie s’est engagé à doubler d’ici 3 ans la population d’ours dans les Pyrénées, après la vive émotion qu’a suscitée la mort de Cannelle . Pourvu que la population de chasseurs diminue dans les mêmes proportions ! Car même si je me réjouis de cette initiative, je ne peux que m’interroger sur la cohérence de cette mesure alors même que l’on étend les droits des chasseurs.

Ce texte transgresse également la directive européenne « Habitats » qui préconise la conservation stricte des grands prédateurs dont la chasse est soumise à une réglementation extrêmement précise. Enfin, il méprise la directive européenne « Oiseaux » prohibant la chasse « lors des trajets de retour vers les milieux de nidification » en classant sans discernement le ramier comme espèce nuisible.

Par ailleurs, ce texte a tout l’air d’un simple effet d’annonce. En effet, alors que les volets consacrés aux agriculteurs ou aux services publics en milieu rural sont encore insuffisants, le gouvernement nous promet de combler ses lacunes dans des projets de loi à venir (loi de modernisation agricole et projet de loi sur la régulation postale actuellement discutée à l’Assemblée nationale). Autrement dit, et comme à son habitude, il renvoie aux calendes grecques des questions qui pourraient être réglées une fois pour toutes.

Enfin, si le projet de loi incite, par des exonérations, au développement économique rural, aucune compensation par l’Etat n’est prévue. Il est donc à parier que ces coûts supplémentaires, devront, une fois de plus, être assumés par la fiscalité locale. Voilà qui va réjouir nos élus locaux !

Aussi, Monsieur le Ministre, vous ne serez pas surpris que nous amendions fortement ce texte disparate et contraire à notre vision d’un développement durable des territoires ruraux.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Messieurs les Rapporteurs, Mes Chers Collègues, je vous remercie.