Proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales

Je suis intervenu mardi 22 février lors de l’examen de la proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’intervention. Seul le prononcé fait foi. La vidéo est disponible au lien suivant: http://videos.senat.fr/video.336910_58adf9e5c7480.seance-publique-du-22-fevrier-2017-soir?timecode=5979000.

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Monsieur le Président,

Madame/Monsieur la/le Ministre,

Mes chers collègues,

 

La France est à la traîne, en matière de transparence des élus et de responsabilité vis-à-vis de l’argent public. La France est à la traîne des attentes légitimes de nos concitoyens, comme l’a d’ailleurs reconnu un candidat à la présidentielle, en s’excusant d’une pratique qu’il qualifie de légale. Et la France est à la traîne de beaucoup de nos voisins européens, dont la presse nous renvoie, régulièrement, une image de corruption latente.

 

Ce n’est pas sombrer dans le populisme que reconnaître ce retard, et tenter de le combler.

Cette proposition de loi s’inscrit donc dans ce mouvement justifié, en proposant de renforcer, d’une part, le contrôle de gestion des collectivités territoriales et, d’autre part, la responsabilité financière des élus locaux.

 

Renforcer la périodicité du contrôle de plus grosses collectivités serait assurément bénéfique. Il faudrait simplement s’assurer que les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) aient les moyens de ce surcroît d’activité.

 

Dans cet élan, nous pourrions d’ailleurs proposer que le Sénat, chambre des collectivités, soumette lui aussi sa gestion, à l’instar de l’Elysée, à un contrôle annuel de la Cour des comptes. Puisque la Cour ne livre que des observations et des recommandations, je n’y vois rien qui pourrait menacer notre indépendance, et cela complèterait utilement le processus de certification qui a déjà été engagé.

 

Pour en revenir aux comptes des collectivités, le texte propose aussi de créer un nouveau contrôle, fréquent, et portant exclusivement sur l’annualité budgétaire. Même si trois cas de reports de charges contestables ont en effet été politisés récemment, l’annualité n’est qu’un des points du contrôle de gestion, et une telle focalisation se ferait nécessairement au détriment de contrôles plus exhaustifs. Ainsi, sur ce plan, il nous semble préférable de laisser aux CRTC la liberté de déterminer le périmètre de leurs contrôles.

 

Si nous devions attirer l’attention des CRTC sur un point, sans doute serait-ce plutôt celui des partenariats publics-privés, qui comportent davantage d’enjeux que les reports de charges. Les PPP ne sont toujours pas véritablement évalués par une instance indépendante, près de trois ans après que nos collègues Sueur et Portelli les ont qualifié, dans un excellent rapport, d’outils à « haut risque » et de « bombes à retardement budgétaires ». La catastrophe des emprunts toxiques, qui a prospéré sur les mêmes manques de contrôle, devrait pourtant nous instruire.

 

En ce qui concerne, maintenant, la responsabilité financière des élus locaux, on ne peut que partager la volonté de mettre fin à la différence de traitement entre les ordonnateurs, difficile à justifier. En effet, les ordonnateurs qui appartiennent à la sphère politique – élus locaux et ministres – bénéficient d’une immunité partielle ou totale, alors que presque tous les autres ordonnateurs – notamment les fonctionnaires et membres de cabinet – sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

 

Pour autant, la solution proposée – une extension de la compétence de la CDBF aux élus – nous semble incomplète.

 

D’abord, la CDBF n’aurait pas aujourd’hui les moyens d’assumer une telle extension. Sans doute faudrait-il d’ailleurs l’intégrer dans la structure juridictionnelle de la Cour des comptes et des CRTC, de manière à lui faire bénéficier des mêmes moyens et de la même déclinaison locale.

Ensuite, par souci de cohérence et de justice, il apparaît nécessaire de traiter en même temps le cas de tous les ordonnateurs, et en particulier des premiers d’entre eux : les membres du Gouvernement.

 

Comment imaginer, en effet, que pour une même infraction, le maire d’une petite commune soit passible d’inéligibilité mais qu’un ministre ne puisse pas être poursuivi ? Tel serait pourtant la conséquence de cette proposition de loi.

 

Ironie du calendrier, Jean-Yves Le Drian et Ségolène Royal ont fait l’objet, avant-hier, d’une audience publique de la Cour des comptes, qui les juge pour une gestion de fait présumée, portant sur environ 300 millions d’euros. Mais il s’agit là de l’unique infraction budgétaire pour laquelle des ministres peuvent être poursuivis, puisqu’ils sont alors considérés, non plus comme des ordonnateurs, mais comme des comptables de fait.

 

Par ailleurs, même si ça ne relève plus du législateur national, on pourrait également s’interroger sur la situation de Mario Draghi, qui est devenu président de la BCE sans qu’aucune juridiction européenne ne soit saisie de son rôle, manifestement éminent, dans le maquillage des comptes de la Grèce par Goldman Sachs.

 

Enfin, sans doute faudrait-il remettre à plat l’ensemble des infractions et des peines, imputables aux comptables comme aux ordonnateurs. Il serait utile de pouvoir mieux distinguer l’erreur bénigne de la faute sérieuse, et de leur associer des sanctions véritablement en adéquation.

 

On pourrait notamment s’interroger sur la pertinence des sanctions pécuniaires, dont le montant dépend des sommes en jeu dans l’infraction : d’une part, parce que les justiciables ne sont pas intéressés aux sommes lorsque tout se passe bien et, d’autre part, parce que le système d’assurance gomme aujourd’hui l’essentiel de l’effet de responsabilisation personnelle.

 

En conclusion, le groupe écologiste tient à saluer cette proposition de loi, qui pointe des lacunes avérées et permet de relancer l’intérêt pour la réforme des juridictions financières. Toutefois, chacun semble en convenir, la réflexion mérite d’être poursuivie, et surtout élargie. C’est pourquoi le groupe écologiste soutiendra le consensus qui semble se dessiner, en accord avec l’auteur, autour de la motion de renvoi en commission.