Par Jean Desessard
L’article 27 de la Constitution précise très clairement les modalités de vote des parlementaires, en particulier l’alinéa 3 de cet article définit la délégation de vote d’un parlementaire : « la loi organique peut organiser exceptionnellement la délégation de vote. Dans ce cas nul ne peut recevoir délégation de plus d’un mandat ».
Ce qui signifie qu’en application de la Constitution, lors des votes publics, nul ne pourrait porter plus de deux mandats, le sien, et celui d’un autre parlementaire qu’il a mandaté.
Or, la pratique du vote public au Sénat est tout autre ; puisque un président de groupe politique (ou un parlementaire mandaté par le président) vote pour tous les membres de son groupe. Cette méthode pose plusieurs problèmes :
Cela encourage l’absentéisme… A plusieurs reprises, en séance, le nombre de sénateurs de la majorité sénatoriale (UMP, centristes, radicaux valoisiens, non-inscrits) était inférieur aux présents de l’opposition (PS, PC, PG, Verts, Radicaux de Gauche), de fait cela ne bouleverse pas le vote, puisque le Président du groupe UMP demande un vote public et les présidents de chaque groupe votent avec les cartes de l’ensemble du groupe (plus de 150 pour le groupe UMP).
A quoi cela sert-t-il d’être présent ? D’autant que les absents sont notés au bulletin officiel comme ayant participé au vote.
Cela limite l’intérêt du débat. Le débat peut faire évoluer la position des parlementaires présents en mettant en lumière des arguments nouveaux. Or, la dynamique de séance n’aura aucune incidence puisque ce sont les présidents de groupe qui établiront la décision finale avec le vote par scrutin public. Certes, chaque sénateur présent peut voter différemment de son groupe, mais même si ceux-ci représentent une part importante des présents, leur vote sera marginal par rapport au scrutin public. D’ailleurs, une parlementaire centriste absente dont le vote avait été comptabilisé contre cet amendement, a demandé par la suite la rectification de son vote, en vote « pour ».
Enfin, cette pratique remet en cause l’alinéa 2 de l’article 27 de la Constitution qui précise que « le droit de vote des membre du Parlement est personnel ». Par exemple, au cours du débat sur le projet de loi portant réforme des retraites, un amendement améliorant les retraites des femmes, déposé par une sénatrice UMP, aurait pu être voté par les parlementaires présents, puisqu’il recueillait l’assentiment de l’opposition et d’une fraction non négligeable de sénateurs centristes et UMP. Or, en faisant voter les absents, par le biais du scrutin public, sans qu’ils soient informés de l’enjeu du vote, cet amendement a été refusé. C’est donc le droit de vote personnel des sénateurs qui est remis en cause.
En conclusion, je regrette que la procédure du vote public, telle qu’elle est appliquée au Sénat de façon non-constitutionnelle, favorise l’absentéisme, la négation du vote personnel et nuise à l’intérêt du débat.
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